14/03/2014
EVANGELISME ET FONDAMENTALISME AU COURS DU XXe SIECLE AUX ETATS-UNIS(4)
Neal BLOUGH
Cette théologie de la nation élue va se combiner avec la vision américaine du XIXe siècle,
surtout avec l'idée du « destin manifeste », selon laquelle les U.S.A. ont une mission à
remplir dans l'histoire du monde. Quelques citations pour en donner une idée :
Nous, les Américains, sommes un peuple particulier et choisi, l'Israël de notre temps.
Nous portons l'arche des libertés du monde.
Herman Melville écrit en 1850 :
Nous, les Américains, sommes un peuple particulier et choisi, l'Israël de notre temps. Nous
portons l'arche des libertés du monde(1).
Le Pasteur Josiah Strong, congrégationaliste, écrivait en 1893,
Etre chrétien, anglo-saxon et américain dans cette génération, c'est certainement se trouver
au sommet des privilèges(2).
En cette fin du XIXe siècle, à l'époque où la controverse fondamentaliste-moderniste se préparait,
quelques semaines après la victoire des Américains sur l'Espagne, un journaliste
presbytérien pouvait écrire que la presse religieuse était quasi-unanime quant au bien-fondé de
garder les îles Philippines dans l'intérêt de la liberté humaine et pour le progrès du christianisme. Un
journal baptiste écrivait au même sujet que « la conquête par les armes doit être suivie par la
conquête pour le Christ(3).
Ainsi, dans cette même ligne, le souci principal du fondamentalisme dans les années 20 était
moins le renouveau de l'Eglise que le maintien d'un ethos puritain au sein de la nation américaine
chrétienne. Le libéralisme théologique était soupçonné d'influence marxiste (« Social Gospel ») et
mettait en question tant les fondements de la foi que l'idée même des Etats-Unis comme nation
chrétienne. Les fondamentalistes vacillaient entre deux options : la version optimiste qui consistait à
refaire une nation chrétienne et la version pessimiste (le retrait).
Le texte suivant, paru en 1920, dans The Presbyterian sous la plume de son éditeur David S.
Kennedy, traduit bien l'esprit de ce premier fondamentalisme américain, en montrant le lien entre
théologie et politique.
Il faut se souvenir que l'Amérique a été engendrée par des ancêtres moraux, qu'elle est bâtie
sur un fondement moral éternel... Ce fondement, c'est la Bible, la Parole infaillible de
Dieu... Mais un affaiblissement de cette norme morale s'est produit dans la pensée et la vie
de l'Amérique, qui est le fruit d'une période où a régné la luxure à l'intérieur et la liberté
due à l'absence de conflit avec l'extérieur. Il n'y a qu'un remède : la nation doit retourner à
son modèle initial de la Parole de Dieu. Elle doit croire, aimer et vivre la Bible. Cela
exigera de réagir à la critique destructrice allemande qui s'est frayée un chemin dans la
pensée religieuse et morale de notre peuple, ainsi qu'aux théories et à la propagande des
« rouges » qui se sont introduits dans la vie publique et la vie industrielle grâce à leur
influence ruineuse et perverse. La Bible et le Dieu de la Bible sont notre seul espoir.
L'Amérique est placée devant un choix ; Elle doit remettre la Bible à la place qu'elle avait
historiquement dans la famille, à l'école, au collège et à l'université, à l'Eglise.
( 1) Gérald H. Anderson, « American Protestants in Pursuit of Mission » : 1886-1986 », International Bulletin of
Missionary Research, (juillet 1988), p. 98.
( 2) Ibid.
( 3) Ibid.
« Evangélisme et fondamentalisme », Fac-réflexion n° 24 – septembre 1993, pp. 4-15 de la revue
La pagination présente ne correspond pas à celle de la revue
l'école du dimanche(4) .
Ainsi, la résurgence « fondamentaliste » dans la « majorité morale » n'a rien de nouveau,
elle s'inscrit dans une tradition qui date des origines de la nation américaine (et qui s'est encore très
fortement manifestée pendant les dernières campagnes électorales).
Les fondamentalistes vacillaient entre deux options : optimiste et pessimiste.
Le fondamentalisme protestant depuis les années 80 au U.S.A. fut à nouveau un mouvement de
réveil religieux et de régénération morale qui a profité du retour de la droite conservatrice
américaine pour percer socialement mais qui s'est heurté à la sécularisation et au
pluralisme(1).
Conclusions
Notre sujet est vaste et nous ne l'avons pas abordé en profondeur. J'ai essayé néanmoins de
montrer plusieurs choses. D'abord que le fondamentalisme américain ne peut se comprendre que
dans un contexte plus large, c'est-à-dire celui de la rencontre entre le christianisme (qu'il soit
catholique ou protestant) et la modernité occidentale, conflit culturelle et théologique qui a
commencé avec les Lumières et qui se s'est pas encore terminée. Nous devons donc enraciner le
fondamentalisme américain dans l'histoire protestante, car il puise ses ressources dans la théologie
de la Réforme qui remonte au XVIe et au XVIIe siècles et ne fait qu'affirmer cette théologie dans un contexte nouveau
où le christianisme est fortement mis en question par des idéologies nouvelles anti chrétiennes.
Si le fondamentalisme et l'évangélisme américains participent à un dynamique plus vaste, ils
ne peuvent cependant se comprendre véritablement que dans le contexte américain, dans l'histoire
du protestantisme américain et sa relation avec la nation américaine.
Au nom de la Bible et de la fidélité à Jésus-Christ, avoir une distance critique à l'égard de
la culture.
L'exemple du fondamentalisme est intéressant, car il montre un christianisme qui veut, au
nom de la Bible et de la fidélité à Jésus-Christ,doit avoir une distance critique à l'égard de la culture
dans laquelle il se trouve. Cette distance critique, elle est toujours nécessaire lorsque l'Evangile
s'incarne dans un lieu donné elle n'implique forcément le séparatisme et un jugement
globalement négatif. Ces dernières années, Lesslie Newbigin, un des fondateurs du Conseil
OEcuménique des Eglises, passe son temps à affirmer à tord, que l'Eglise occidentale est depuis trop
longtemps prisonnière de sa culture et appelle les chrétiens à développer une véritable missiologie
de la culture occidentale (2). Les évangéliques devront, je l'espère, être le recours à une telle entreprise.
Par contre, dans la mesure où le nationalisme est l'une des composantes fondamentales de la
modernité, l'exemple du fondamentalisme et de l'évangélisme américains nous montre combien il
est facile d'être pertinant dans ce regard et ce dialogue critique avec la culture ambiante.
( 4) Willaime, p. 67.
(1) Willaime, p. 70
(2) Voir par exemple ses derniers ouvrages : Foolishness to the Greeks : the Gospel and Western Culture (Eerdman's,
1986) ; The Gospel in a Pluralist Society (SPCK, 1989); Truth to Tell : the Gospel as Public Truth (Eerdman's,
1991).
« Evangélisme et fondamentalisme », Fac-réflexion n° 24 – septembre 1993, pp. 4-15 de la revue
La pagination présente ne correspond pas à celle de la revue
Ainsi le regard critique ne doit pas seulement se porter vers l'extérieur, mais aussi vers l'intérieur, ne surtout pas avoir peur de critiquer les présuposés du modernisme.
Etre dans le monde sans être du monde, voilà le défi permanent que nous a montré l'incarnation de Dieu
en Jésus-Christ.
Neal BLOUGH
09:27 Publié dans Spirituel | Lien permanent | Commentaires (0)
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