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08/11/2013

Luther et la guerre contre les Turcs (1).

 «Le chapitre des Propos de table où se trouve réuni tout ce que Luther a dit sur les Turcs est fort curieux comme peinture des alarmes qu'éprouvaient alors toutes les familles chrétiennes. Chaque mouvement des bai bans est marqué par un cri de terreur. C'est la même scène que celle de Goetz de Berchingen, où le chevalier, ne pouvant agir, se fait rendre compte par les siens du combat qui a lieu dans la plaine et qu'ils contemplent du haut d'une tour.» Michelet.

 

  

Le Turc ira à Rome, ainsi que nous le montre la prophétie de Daniel; le jugement dernier sera alors bien proche, mais le Turc ne régnera pas au delà de deux cents ans : les Sarrasins ont commencé à régner huit cents ans après que Jésus-Christ eut racheté nos corps et nos âmes. Attendons ainsi l'avènement de Jésus-Christ. Il faut que l'Allemagne soit châtiée par les Turcs. Je songe souvent avec une extrême tristesse aux calamités et aux dangers qui menacent l'Allemagne, car elle néglige et méprise tout bon conseil. La victoire ne dépend pas de nous; il est un temps pour vaincre les Turcs et un temps pour succomber. Le roi de France s'est longtemps complu dans son orgueil, et il a fini par devenir captif, le pape a longtemps aussi méprisé Dieu et les hommes, enfin il a chute misérablement. On dit que le souverain des Turcs a célébré naguère la circoncision de quatre de ses fils, et qu'il a invité à cette cérémonie le grand Kan (1), le roi de Perse et les Vénitiens ; il est extrêmement vénéré de ses sujets. Il donne à qui il veut un passeport écrit en lettres d'or, un vieh, comme ils l'appellent, et celui qui est muni de cette pancarte peut parcourir lotis les États du Turc; ouest tenu de l'héberger et de le nourrir en chaque endroit. Il maintient son empire dans la paix par la terreur qu'il répand. On dit que les Turcs regardent Jésus-Christ comme un prophète, mais inférieur à Mahomet, et qu'ils prétendent que Jésus-Christ a provoqué la colère de Dieu lorsqu'il a dit : «Je suis la voie, la vérité et la vie. » 

1 C'est à dire, le souverain des Tartares. Luther avait raison de dire que le sultan avait invité les Vénitiens à assister à la cérémonie en question; un ambassadeur vint en effet représenter le doge Les fêtes commencèrent le 27 juin 1530 et durèrent dix jours ; feux d'artifice, tournois, tout fut dune magnificence jusqu'alors sans exemple. On fit venir des jongleurs dont les tours peuvent tenir du miracle ; on fil lutter de science et d'esprit des docteurs et des poêles, l'n de ces beaux esprits éprouva un si vif chagrin de se voir éclipser par un rival, qu'il succomba, séance tenante, à une attaque d'apoplexie. Voir Hammor, Histoire de l'empire ottoman, I. V, p. 130 et suiv.

 

Un homme très-recommandable, nommé Schmaltz, et bourgeois de Hanau , qui avait été en ambassade chez le Turc, raconta au docteur Luther que le roi des Turcs lui avait fait diverses questions au sujet de Luther, lui demandant quel âge il avait. lorsqu'il eut appris que Luther était dans sa quarante-huitième année il dit : « Je voudrais qu'il fût plus jeune, je lui témoignerais toute la bonne volonté que j'ai pour lui. » — Le docteur Luther repartit en faisant un signe de croix : « Dieu me préserve d'être obligé de faire l'épreuve de la faveur du Turc. »

 

   

La puissance du Turc est très-grande, il entretient à sa solde, durant toute l'année, des centaines de milliers de soldats; il faut qu'il ait plus de deux millions de florins de revenu annuel. Chez le Turc, tous les hommes sont voués aux armes. Nous, nous sommes très-délicats, nous sommes sans force ; nous sommes divisés entre différents maîtres qui sont en opposition les uns avec les autres; mais nous pourrions vaincre le Turc en lui opposant la prière de l'oraison dominicale: «Seigneur, délivrez-nous du mal, » si l'Allemagne ne répandait pas tant de sang pour les querelles de religion, et si elle ne persécutait pas la vérité qu'elle reconnaît. Dieu nous visitera comme il a châtié Sodome, Gomorrhe, Sebolm , etc. Si je pouvais donner un conseil à Dieu, je voudrais qu'il châtiât l'Allemagne par les mains de quoique homme pieux , et que ce maudit Turc fût mis en déroute. On dit que telle était la famine dans le camp des Turcs, qu'un morceau de pain s'y payait une pièce d'or; mais Vienne (1) et l'armée de l'empereur ne manquaient de rien. Cette victoire est évidemment l'œuvre de Dieu. Le Turc avait juré de conquérir l'Allemagne dans l'année, et il avait déployé un étendard consacre à Mahomet : il a toutefois été mis en une déroute honteuse ; il n'a rien accompli d'important, il n'a conquis aucune ville, et il n'a fait que dévaster et brûler le pays.

1 Il s'agit ici du siège de Vienne entrepris le 27 septembre 1532 et levé le 10 octobre. Consulter le livre XXVI de l’Histoire déjà citée de M. Hammer (tom V). L'Allemagne entière était alors dans la stupeur; les Ottomans faisaient des incursions jusque sur les frontières de la Bavière; ils menaient tout à feu et à sang, massacrant les enfants, les vieillards, emmenant leurs captifs liés à la croupe de leurs chevaux.

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Si les Turcs se rendent maîtres de la Hongrie, ils s'efforceront d'envahir l'Allemagne. La Hongrie a jadis été un pays puissant. Deux fois il a abandonné la foi, aussi a-t-il deux croix à porter; si une troisième fois il vient à abandonner l'Église, il n'y reviendra plus.

 

Le 21 décembre 1536, le marquis George vint à Wittemberg, et il annonça que les Turcs avaient remporté une grande victoire sur les Allemands , dont la nombreuse et belle armée avait été trahie et massacrée ; il dit que nombre de princes et de seigneurs avaient péri, et que les prisonniers chrétiens étaient traités avec une extrême cruauté , à ce point qu'on leur coupait le nez. Le docteur Luther dit : « Nous autres Allemands , nous devons considérer que la colère de Dieu est à nos portes, et qu'il faut se hâter de faire pénitence tant qu'il en est temps encore. Malheureusement l'Allemagne est livrée à la discorde : voyez quelle haine furieuse portent les papistes aux partisans de l'Évangile ; ils ont mis leur confiance dans l'Empereur, et souvent ils ont été confondus. » Un certain comte fit allumer un grand feu de joie durant la nuit lorsqu'il apprit l'arrivée de l'Empereur en Allemagne, et un prêtre, près d'Eisenach , dit qu'il consentait à perdre toutes ses vaches dans le courant de l'année, si, à la Saint-Michel, Martin Luther et tousses adhérents n'étaient pendus. Ils pensaient qu'il suffisait que l'Empereur marchât contre les luthériens, et ils nourrissaient d'horribles projets ; mais ils ont été bien déçus dans leur attente. 

 

L'empereur des Turcs fait régner à sa cour une grande majesté ; il faut traverser trois vestibules pour arriver jusqu'à lui : dans le premier, il y a douze lions enchaînés, dans le second, des panthères. Le Turc a sous sa domination des pays très-peuplés et très-riches, et depuis dix ans le nombre de ses sujets s'est beaucoup accru. Il a peu à peu et successivement soumis les Sarrasins, qui ont été les maîtres de la Syrie, de l'Asie, de la Terre-Sainte, de l'Assyrie, de la Grèce et d'une portion de l'Espagne ; Selim les a renversés et presque anéantis. C'est ainsi que Dieu joue avec les royaumes , selon la menace d'Isaïe. Les Vénitiens n'ont fait nulle résistance, ils sont efféminés et ne sont pas guerriers. Depuis cent ans, le Turc a beaucoup agrandi son empire; mais c'est encore peu de chose en comparaison des progrès que fit durant cinquante ans l'empire romain : quoique, dans cet intervalle, il eût eu à soutenir contre Annibal une guerre terrible, qui dura vingt-trois ans, il s'était tellement accru, que Scipion disait qu'il ne fallait plus demander dans les prières publiques un accroissement de domination. C'était comme s'il avait dit : Ne pensez plus à étendre votre domination , mais veillez à conserver celle déjà bien ample que vous possédez.

 

Le 10 novembre 1536, on parla des mensonges et de l'impudence des Turcs, qui prétendaient, en dépit de l'Écriture sainte, être le peuple de Dieu, descendu d'Ismaël. Ils disaient qu'Ismaël était le véritable fils de la promesse, ayant été substitué à Isaac, qui s'était enfui lorsque son père tenait le couteau levé sur lui pour le sacrifier sur le mont Oreb, suivant l'ordre de Dieu. Les Turcs se font gloire d'être très-religieux, et traitent toutes les autres nations d'idolâtres. Ils calomnient les chrétiens en les accusant d'adorer trois Dieux. Ils jurent par un Dieu unique, créateur du ciel et de la terre, par ses anges, par les quatre évangélistes et par les quatre-vingts prophètes venus du ciel, et dont Mahomet a été le plus grand. Ils rejettent toutes les images et ne rendent hommage qu'à Dieu. Ils rendent à Jésus-Christ le témoignage le plus honorable, disant qu'il a été un prophète de la plus éminente sainteté, né de la vierge Marie et l'envoyé de Dieu; mais que Mahomet lui a succédé, et que, dans le ciel, Mahomet est assis à la droite de Dieu et Jésus-Christ à sa gauche. Les Turcs ont retenu beaucoup de choses de la loi de Moïse; mais, enflés de l'insolence de la victoire, ils ont adopté un nouveau culte ; car la gloire des succès guerriers est, selon la chair, la plus grande de toutes, et il leur a été donné, ainsi que l'a annoncé Daniel, de faire la guerre aux hommes pieux et de les vaincre.

 

L'électeur de Saxe écrivit au docteur Luther que les Turcs avaient remporté une grande victoire. Cazianus, Ungnad, Schlickius avaient été gagnés par les Turcs, et l'on avait placardé dans toutes les églises de Vienne l'arrêt qui les condamnait à être attaches à une potence. Ils avaient conduit l'armée allemande jusqu'au camp des Turcs, et un chrétien, échappé des mains des infidèles, les ayant prévenus de se tenir sur leurs gardes, ils avaient rejeté son avis avec mépris. Ayant ensuite vu l'ennemi s'approcher, ils avaient pris la fuite avec la cavalerie abandonnant les gens de pied, qui avaient été misérablement égorgés et taillés en pièces. Les Turcs avaient fait mine de battre en retraite , ce qui avait engagé des cavaliers chrétiens, au nombre de onze cents, à revenir à la charge, mais cernés et écrasés par l'ennemi, ils avaient tous péri jusqu'au dernier. Cazianus avait reçu des Turcs, par l'entremise d'un juif, dix-huit mille ducats, et il avait même fait la promesse de leur livrer le roi. — Le docteur Luther ayant entendu ces nouvelles, cita le vers : Auri sacra fames, quid non mortalia pectora cogis ? 

 

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