08/01/2016
Handicapés : la solidarité plus forte que les lois ?
Il paraît qu’en France, tout finit en rires et en chansons. Par les temps qui courent, ce serait plutôt par des lois pas forcément de bon aloi. Inondation ? Une loi contre la pluie. Avalanche ? Une loi contre la neige. Ouragan ? Une loi contre le vent. Avec les gags allant généralement avec : il y a de cela quelques années, des voyous mettaient le feu à un véhicule de pompiers fonctionnant à moteur GPL, lequel explosa en causant plusieurs victimes. Une loi fut donc prise ; non point contre les voyous, mais contre le GPL !
Nul citoyen n’est censé ignorer la loi, prétend l’adage. Mais, comme le remarquait justement Robert Badinter, pourtant ancien garde des Sceaux, il y a désormais tellement de lois que l’adage en question vaut désormais peau de balle et balai de crin. Ainsi, une récente loi sur les handicapés – enfin, les personnes à mobilité réduite, soit nos compatriotes montés sur roulettes – peine à être appliquée.
Le trucmuche en question, voté en 2005, censé être appliqué en 2015, devait assurer à tous un égal accès aux bâtiments publics, avec rampes d’accès pour fauteuils roulants y afférentes. Objectif atteint pour 40 % des sites concernés, semble-t-il. Dans les édifices récents, cela n’a évidemment rien d’insurmontable : moche pour moche, une rampe en parallèle d’un escalier ne saurait plus abîmer une construction qui, à elle seule, défigure déjà le paysage. Pour nos vieilles pierres, c’est déjà plus compliqué…
Imaginez un toboggan de béton jouxtant le grand escalier de Versailles… Un ascenseur en acier et plexiglas pour se jucher au parvis de Notre-Dame-de-Paris, ou un trampoline pour rebondir jusqu’au sommet du mont Blanc…
Là où j’habite, à la cambrousse, il y a une vieille, très vieille église, remontant au XIIIe siècle. Pour y parvenir, un escalier dont les marches se gravissent par dizaines. Là, deux logiques s’affrontent. Préservation du patrimoine ou remise à niveau législatif ? Pas la peine de piailler, à juste titre, contre les barbares de Daech qui saccagent leur patrimoine si c’est pour offenser le chemin d’une église dont les statues, de toute manière, ont déjà été décapitées par d’autres iconoclastes – les nôtres -, ceux de la Révolution française. Et puis, c’est sans compter sur le fait que les portes de cette pauvre église ne sont ouvertes qu’une fois l’an, pour la fête du village. La messe, aujourd’hui, une antique coutume de Sioux…
Si, ce jour-là, des infirmes entendaient s’y rendre, pourquoi les villageois ne les porteraient-ils pas sur leur dos, dans leurs bras, voire même sur un pavois ? Ce, au nom de l’entraide chrétienne et d’une solidarité qui, enfin, serait autre chose qu’un simple slogan publicitaire ou moulin à prières républicain ? Je veux même porter un éléphant – pas tout seul, il va de soi – plutôt qu’on touche à ce putain d’escalier !
Quelques marches plus bas, l’école de mon village, dont la façade est aujourd’hui « ornée » d’une de ces fameuses rampes. Avant la construction d’icelle, il y avait justement un écolier scotché sur son fauteuil. Eh bien, sur la ferme injonction du directeur de l’établissement – une vieille carne de gauche, mais dont le bon cœur moustachu ne fut jamais pris en défaut -, les petits camarades de l’infortuné le portaient virilement de la cour de récréation jusqu’à la salle de classe ; parfois, et le plus souvent, sans même que le garde-chiourme plus haut évoqué n’ait à le leur demander.
Aujourd’hui, la rampe en merdaflex garanti d’origine, avec une rambarde aux couleurs de lendemain de cuite, est toujours là. Mais, depuis près de dix ans, plus d’enfant privé de l’usage de ses jambes… Le prochain qui arrivera n’aura plus personne pour le porter. Bien sûr, il y aura toujours la rampe. Mais la solidarité de ses camarades ne sera plus que lointain souvenir.
Comme quoi les lois ne font pas tout.
11:08 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0)
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