Il est minuit, docteur Schweitzer. On se souvient de ce titre de Gilbert Cesbron qui l’avait fait connaître momentanément en 1952 au public français. Aujourd’hui, comme le chante Dutronc, il serait plutôt « mini, Dr Schweitzer », sous nos latitudes hexagonales, tant l’aura du « grand sorcier blanc » reste confidentielle. Mais celui que Life désignait, dès le 6 octobre 1947, comme « le plus grand homme du monde », le Dr Schweitzer, restera largement méconnu en France, à l’exception de son Alsace natale. Il est pourtant de la même famille que celle de l’ancien PDG de Renault ou du grand-père de Jean-Paul Sartre…
L’hôpital-village qu’il a créé à Lambaréné au Gabon dans la forêt équatoriale à partir de 1913 le fera connaître dans le monde entier comme un visionnaire, alors qu’au pays de Voltaire, l’Alsace étant alors allemande, il sera considéré plutôt comme un espion à la solde de l’Allemagne. C’est en jouant une fugue de Bach que Schweitzer apprendra le déclenchement de la guerre en Europe le 5 août 1914, quand l’administrateur français au Gabon vint lui signifier : « En tant que ressortissant allemand, vous êtes en état d’arrestation. À partir d’aujourd’hui, interdiction vous est faite de quitter votre domicile, de communiquer avec l’extérieur et d’exercer la médecine. » En septembre 1917, Albert Schweitzer et son épouse sont même arrêtés, considérés comme prisonniers de guerre et envoyés en France, où ils seront internés jusqu’en 1918 dans un camp de prisonniers civils à Notre-Dame-de-Garaison dans les Hautes-Pyrénées.
Mais la suspicion envers Schweitzer ne s’arrêtera pas… Après l’armistice, redevenu français, il envoie de nombreux colis à ses amis allemands qui subissent un rationnement sévère ; la police française le soupçonne de sentiments pro-allemands et le met sous surveillance durant les années 1919-1921. On le voit, les Français longtemps l’ont pris pour un Allemand. Il est vrai qu’il l’a été une partie de sa vie comme tous les Alsaciens de sa génération. Il était né, en effet, en 1875, dans l’Alsace annexée du Reichsland et avait 43 ans quand il redevint français… Il fallut l’amitié de Romain Rolland et surtout un prix Nobel tardif, en 1953, pour que la France l’adoptât définitivement. Il était temps et il se faisait tard… Il était minuit moins le quart, docteur Schweitzer !
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