08/03/2013
Évangile selon Jean(2)
Ni le nom de l'auteur, ni celui de l'apôtre Jean - un des principaux disciples dans les évangiles synoptiques et dans les Actes des Apôtres - n'apparaissent dans le quatrième évangile[. Du chapitre 1 au chapitre 20, il n'y a d'ailleurs aucune mention d'auteur. S'est dès lors posé le problème de l'attribution du texte.
C'est dans la seconde moitié du IIe siècle que le quatrième évangile se répand sous le titre d'« évangile selon Jean ". Depuis cette époque, pour la tradition chrétienne, l'auteur en est l'apôtre Jean, fils de Zébédée. Ce point de vue est toujours défendu par certains érudits chrétiens, mais pour la plupart des chercheurs modernes l'auteur - ou les auteurs - est un inconnu, non-contemporain de Jésus, relevant de la tradition du « disciple bien-aimé » et appartenant, suivant une hypothèse largement partagée par les chercheurs, à une école d'écrivains johanniques dont les contours et l'histoire sont objets de débats.
Si l'identification de l'auteur a longtemps cristallisé l'essentiel de la question johannique - attribuer la rédaction à l'apôtre Jean devait assurer le crédit du texte -, cette question a perdu depuis la fin du XXe siècle sa centralité car, pour l'essentiel des chercheurs, « le critère de l'apostolicité n'est plus déterminant dans l'évaluation de l'autorité théologique d'un récit néotestamentaire .
Le « disciple bien-aimé »
L'expression « le disciple que Jésus aimait » ou « le disciple bien-aimé », est utilisée à plusieurs reprises dans l’évangile selon Jean - alors qu'elle n'apparaît dans aucun autre texte du Nouveau Testament - pour désigner un disciple anonyme de Jésus de Nazareth.
Lors de la Cène, c'est le disciple bien-aimé, qui, « couché sur le sein de Jésus », lui demande qui va le trahir. Lors de la crucifixion, Jésus confie sa mère Marie au disciple bien-aimé, en disant : « Femme, voici ton fils », puis au disciple « Voici ta mère ». Quand Marie-Madeleine découvre le tombeau vide, elle court le dire au « disciple bien-aimé » et à Pierre. C'est le premier à atteindre le tombeau. C'est encore lui qui le premier reconnaît Jésus au lac de Tibériade après sa résurrection. L'évangile s'achève sur deux versets : « C’est ce disciple qui rend témoignage de ces choses, et qui les a écrites. Et nous savons que son témoignage est vrai. Jésus a fait encore beaucoup d’autres choses ; si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde même pût contenir les livres qu’on écrirait »
Trois approches ont eu ou ont cours vis-à-vis de ce « disciple bien-aimé » :
Une première approche consiste à l'assimiler à un personnage connu des textes néotestamentaires, à l'instar de ce que suit la tradition chrétienne avec Jean de Zébédée - ou « Jean le Zébédaïde » - ou encore, quoiqu'assez rarement, avec Lazare, Jean-Marc ou Thomas. Dans une autre approche, des exégètes ont considéré ce « disciple bien aimé » comme un personnage symbolique incarnant une manière de disciple parfait. Une troisième approche envisage le « disciple bien-aimé » comme un personnage secondaire du ministère de Jésus qui, de ce fait, n'aurait pas été repris par les synoptiques mais qui aurait pris de l'importance à travers la communauté johannique - qu'il a pu fonder - laissant à travers le quatrième évangile le portrait d'un personnage idéal, plus proche de Jésus par l'amour que Pierre lui-même.
Suivant Brown, ce « disciple bien-aimé », qui serait le témoin oculaire sur lequel l'évangile attire l'attention au pied de la croix, pourrait être la source de la tradition du quatrième évangile, dont l'évangéliste - qui parle de lui à la troisième personne- serait un disciple, le ou les rédacteurs ultérieurs étant peut-être d'autres disciples relevant de l'« école johannique » Par ailleurs, l'ajout du chapitre 21 par quelqu'un qui n'est pas l'auteur du corps du texte semble témoigner d'une tentative pour identifier ce dernier au « disciple bien-aimé ». Dans ce chapitre, le dialogue entre Jésus et Pierre présuppose la mort du « disciple bien-aimé » qui ne peut de la sorte être l'auteur de l'intégralité du quatrième évangile.
Le « disciple bien-aimé » a souvent lui-même été identifié à Jean, fils de Zébédée, l'un des Douze apôtres. Mais des historiens comme Oscar Cullmann ont distingué deux Jean, l'apôtre et l'évangéliste, ce dernier étant identifié dans ce cas au « disciple bien-aimé ». Avec la suscription attribuant le texte à une personne nommée « Jean ], un ajout secondaire mais relativement ancien, il est vraisemblable que le cercle des éditeurs johanniques, à l'instar de la tradition, envisageait l'apôtre Jean, mettant ainsi le « disciple bien-aimé » en relation avec le cercle des disciples proches de Jésus et garantissant de la sorte son autorité
Jean de Zébédée
C'est de la fin du IIe siècle que date les premières traces de la tradition qui identifie disciple bien-aimé avec le disciple Jean, l'un des Douze, frère de Jacques et fils de Zébédée ainsi que son rattachement à Éphèse où, suivant cette tradition, il aurait vécu jusqu'à l'époque de l'empereur romain Trajan et rédigé son évangile.
On retrouve le témoignage d'une telle attribution dans le Papyrus 66 datant de la fin du IIe siècle. Le premier auteur connu de l’Église ancienne à professer cette opinion est Irénée de Lyon, vers 180, qui aura une influence fondamentale sur la définition du canon des quatre évangiles et l'affirmation de son inspiration divine. Selon ce qu'en rapporte Eusèbe de Césarée un siècle et demi plus tard, Irénée se revendique du témoignages de plusieurs presbytres dont Papias de Hiérapolis et Polycarpe, évêque de Smyrne mort en 155, qu'il aurait connu enfant et entendu mentionner sa relation avec le disciple Jean Mais d'une part, Irénée ne mentionne aucune rédaction d'aucun texte et, d'autre part, il n'y a nulle trace d'une telle relation dans les œuvres de Polycarpe. De la même manière Papias qui, selon Eusèbe, affirmait avoir connu à la fois Jean l'apôtre et Jean le Presbytre ne fait aucune mention d'une quelconque entreprise de rédaction par l'un ou l'autre. Ces éléments rendent impossible l'authentification et la reconstruction de la tradition dont Irénée se fait le porteur.
Au IVe siècle, Épiphane de Salamine (~315 - 403) rapporte que la secte des aloges attribuait le quatrième évangile au gnostique du IIe siècle Cérinthe et refusait de l'attribuer à Jean tout comme l'Apocalypse. Concernant ce dernier texte, selon Eusèbe de Césarée, Denys d'Alexandrie (évêque de 247 à 264) affirme que l'Apocalypse de Jean - mais non son évangile -, frappé de suspicion pour son incohérence et son inintelligibilité, était attribué au même Cérinthe par certains de ses aînés. Cette discussion sur les aloges est le seul exemple connu d'une attribution primitive divergente de la tradition ultérieure.
En ce qui concerne la datation, selon Clément d'Alexandrie, cité dans l’Histoire ecclésiastique d'Eusèbe, Jean aurait écrit son évangile comme un supplément aux trois autres évangiles, ce qui explique sa place classique dans le Nouveau Testament.
Cependant, l'attribution traditionnelle à Jean de Zébédée se voit opposer deux arguments. Premièrement, d'après l'évangile de Marc, Jean de Zébédée n'est pas mort à Éphèse à un âge avancé mais précocement en martyr, peut-être avec son frère Jacques sous le règne d'Hérode Antipas, bien que ce dernier postulat ne soit pas démontrable. En tout état de cause, Jean de Zébédée disparait après la réunion de Jérusalem et cela rend difficilement franchissable la distance temporelle qui sépare le compagnon de Jésus et le rédacteur de la fin du Ier siècle. Deuxièmement, une comparaison avec les évangiles synoptiques met en évidence une théologie et un langage qui ont évolué depuis la période de Jésus de Nazareth et ses proches, que sépare une tradition de plusieurs dizaines d'années avant la reprise de l'enseignement de Jésus par le rédacteur du quatrième évangile. Ainsi, une large majorité des exégètes contemporains renonce à l'attribution de l'évangile à un témoin oculaire et particulièrement à Jean de Zébédée.
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