Neal BLOUGH
Le Français moyen, quand il entend « fondamentalisme », voire « évangélisme », pense
« made in U.S.A. ». L'association n'est qu'en partie justifiée. Mais elle l'est en partie, d'où l'intérêt
de l'enquête menée par Neal BLOUGH, professeur d'histoire de l'Eglise à la Faculté Evangélique.
Sa compétence d'historien, le recul que lui permettent ses études supérieures et son ministère en Europe
ses convictions mennonites, font de N. BLOUGH un observateur impartial, toujours clair.
I. Fondamentalisme et évangélisme américains : une manifestation
particulière de la confrontation entre le christianisme et la modernité occidentale
Comme le titre l'indique, ce sera d'un point de vue historique que nous aborderons le fondamentalisme
et l'évangélisme américains du XXe siècle. Faire cela dans un contexte français
n'est pas «forcément évident », étant donné que le sujet évoque l'univers religieux américain si différent
d'une France influencée à la fois par l'Eglise romaine et plus récemment par une laïcité militante
Dans un ordre chronologique, nous aborderons d'abord le fondamentalisme, ensuite
l'évangélisme, pour terminer avec quelques remarques sur le rôle joué par ces mouvements dans la politique américaine.
Cependant, avant d'aborder le fondamentalisme américain, il nous semble important de le situer
dans un contexte historique un peu plus large. Aux yeux d'un grand nombre, le fondamentalisme
est surtout un phénomène « américain », et donc difficilement repérable,
difficilement compréhensible, par rapport à l'histoire européenne.
Affirmons tout simplement que le fondamentalisme américain est une manifestation
particulière de la rencontre entre le christianisme et la modernité occidentale, modernité qui naît
avec le siècle des Lumières et qui prend de plus en plus forme au XIXe siècle.
Sous l'influence des Lumières va se développer une lecture biblique, appelée « critique »,
qui se fiera aux normes de la raison humaine et mettra en question la fiabilité historique des textes bibliques
Le « paradigme libéral » achève le divorce entre la personne de Jésus et l'idée de la foi chrétienne.
Des exégètes et théologiens allemands (entre autres), tels Strauss, Wellhausen, et von Harnack
... mettent en place ce qu'on peut appeler le « paradigme libéral ». Celui-ci achève le
divorce entre la personne de Jésus et l'idée de la foi chrétienne. La critique historique, pensant, au nom
d'une certaine neutralité scientifique, pouvoir reconstruire le passé dans toute son objectivité,
ne laisse plus aucun doute sur l'impossibilité de surmonter la différence entre le Jésus historique et le Christ des Ecritures
« Evangélisme et fondamentalisme », Fac-réflelexion n° 24 – septembre 1993, pp. 4-15 de la revue
Ce développement intellectuel donne lieu à des confrontations théologiques, entre deux courants
« orthodoxes » et « libéraux ». On en voit un exemple intéressant dans le monde protestant français
du XIXe siècle, exemple qui aide à situer le sujet que nous abordons.
D'abord, il s'agit du développement du « modernisme » ou du « libéralisme » :
Au début du XIXe siècle certains pasteurs et cadres laïcs des Eglises protestantes
adoptaient, sous une forme plus ou moins atténuée, un semi-rationalisme religieux proche
de l'esprit des Lumières et qui s'intéressait peu aux questions dogmatiques(2).
A peu près en même temps, un autre courant théologique « orthodoxe » se développe :
Un mouvement de Réveil, influencé par la Grande-Bretagne et surtout par la Suisse
romande, va reprendre des thèmes issus de la Réforme du XVIe siècle et de l'héritage
piétiste : corruption de l'être humain, sacrifice de Jésus-Christ satisfaisant la justice de
Dieu, expression de la Parole de Dieu dans les Ecritures, conversion du coeur et nouvelle
naissance nécessaires pour chaque être humain, église comme assemblée des croyants(3).
Notons maintenant, dans ce contexte français, une démarche qui préfigure le
fondamentalisme américain.
D'abord théologique, le débat entre évangéliques et libéraux devient dans les Eglises
réformées de plus en plus ecclésiastique. Les évangéliques (qualifiés par leurs adversaires
d'« orthodoxes ») sont scandalisés par la prédication de certains pasteurs ultra-libéraux
déclarant en chaire ne pas croire, par exemple, à la résurrection. Voulant imposer un minimum
de croyances fondamentales aux pasteurs, ils font adopter au premier Synode
national autorisé (1872) une déclaration de foi...(4).
Elle insiste sur la permanence des « grands faits chrétiens » exprimés, notamment, dans le
symbole des Apôtres...(5).
Mais cette confrontation théologique n'est pas du tout limitée au monde protestant. Au XIXe
siècle, la théologie romaine, elle aussi, se sent menacée par la modernité :
Au XIXe siècle, la théologie romaine, elle aussi, se sent menacée par la modernité.
En 1864, le pape Pie IX publie un Syllabus, un catalogue en 80 points des erreurs du temps
que le successeur de Pierre condamne. Le dernier de ces points, le plus célèbre et le plus commenté
marque, de la façon la plus claire, « le zéro absolu du dialogue » entre l'Eglise et le monde moderne(6)
Nous pouvons constater une certaine ressemblance entre les démarches protestante et Catholique
( 1) Christoph Theobald, «Les tentatives de réconciliation de la modernité et de la religion dans les théologies
catholiques et protestantes », Concilium (1992-244), p. 148.
( 2) Jean Bauberot, Le retour des Huguenots, (Paris et Genève : Cerf et Labor et Fides, 1985), p. 22.
( 3) Bauberot, op. cit., p. 23.
( 4) Bauberot, op. cit., p. 24.
( 5) Bauberot, ibid.
( 6) Danièle Hervieu-Leger (avec la collaboration de Françoise Champion), Vers un nouveau christianisme ? :
Introduction à la sociologie du christianisme occidental (Paris : Cerf, 1987), p. 245.
« Evangélisme et fondamentalisme », Fac-réflexion n° 24 – septembre 1993, pp. 4-15 de la revue
La pagination présente ne correspond pas à celle de la revue catholique
Dans les deux cas, face à la modernité et ses mises en question, ces Eglises font appel aux sources
d'autorité qui fonctionnaient déjà depuis des siècles, qu'il s'agisse de l'Ecriture ou de la papauté.