Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/12/2019

Un philosophe de confession Luthérienne : Søren Kierkegaard:

 

 

 

 

Données clés:

 

Naissance

5 mai 1813 (CopenhagueDanemark)

 

Décès

11 novembre 1855 (à 42 ans) (Copenhague, Danemark)

 

École/tradition

Luthéranisme, précurseur de l'existentialisme

 

Principaux intérêts

Théologieéthiqueesthétiquelangagemétaphysiquelittérature

 

Idées remarquables

Philosophie existentielle, angoisse (angst), reprise/répétition (gjentagelsen), instant (ojeblikket), théorie des trois stades

 

Œuvres principales

Ou bien... ou bienCrainte et tremblementPost-scriptum aux Miettes philosophiques

 

Influencé par

SocratePlatonAristophaneAristoteSceptiquesShakespeareDescartesLeibnizKantLessingGoetheMozartFichteHegelSchellingMøllerMartensen

 

A influencé ChestovBuberErnst BlochGeorg LukácsJaspersKafkaBarthTillichWittgensteinHeideggerMarcelLacanSartreLevinasAudenGadenneRicœurCamusBoutangFeyerabendDeleuzeDerrida

 

Biographie

 

 

Origines familiales et nom de famille

 

Søren Kierkegaard est issu d'une famille bourgeoise aisée de sept enfants.

Son père, Michael Pedersen (« fils de Pierre »), cinquième garçon d’une famille de neuf enfants, est né en 1756 dans une ferme de Sædding, dans la région d'Esbjerg, tenue en métayage par le grand-père de Søren, Peder Christensen (« fils de Christian »). Cette ferme, située près de l'église de Sædding, était appelée : « ferme de l'église », Kierkegaard en danois de l'époque. Ce nom est alors devenu celui de la famille. Il n'est donc pas en relation étymologique avec le mot kirkegård qui signifie « cimetière » (jardin de l'église).

Michael Pedersen Kierkegaard a quitté le milieu paysan et fait fortune dans le commerce de la bonneterie.

 

Jeunesse

La famille appartient à une communauté piétiste très fervente, ce qui vaut à Søren, selon ses propres dires, « une éducation chrétienne stricte et austère qui fut, à vues humaines, une folie »[.

En 1821, il entre à la Borgerdydsskole (« école de la vertu civique »), une école privée très élitiste où il se fait remarquer par une intelligence hors du commun. En 1831, l’année de la mort de Hegel, il commence des études de théologie à l’université de Copenhague.

 

De 1819 à 1834, la famille est frappée par le destin : sa mère, puis ses trois sœurs aînées et deux de ses frères meurent tour à tour, soit de maladie soit accidentellement, sans jamais dépasser l’âge de 33 ans, ce qui l’amène à croire qu’il ne dépassera pas lui non plus l’âge du Christ. Il vit plongé dans un état mélancolique (nom ancien de la dépression), d'autant plus que son père meurt en 1838. Des neuf membres de la famille, ne survivent alors que lui et son frère Peter.

 

Lors d’un dîner chez des amis communs, un soir du mois de mai 1837, il rencontre la jeune Regine Olsen, dont il s’éprend. En 1840, il la demande même en mariage. Elle accepte, mais un an plus tard, il rompt soudainement avec elle après lui avoir renvoyé son anneau de fiançailles.

La même année, il soutient sa thèse de doctorat sur Le Concept d’ironie constamment rapporté à Socrate. Il part pour Berlin où, de novembre 1841 à février 1842, il suit les cours de Schelling, qui le déçoivent. Il rentre alors à Copenhague.

 

L’écriture philosophique

 

Vivant de la fortune héritée de son père et affirmant n’avoir « pas le temps de [se] marier », il publie en 1843, sous le pseudonyme de Victor Eremita son premier ouvrage important, Ou bien... Ou bien... Il renonce à une carrière de pasteur et s’engage dans une intense production philosophique, dont les résultats les plus remarquables, tous signés d’un pseudonyme différent, sont Le concept d’angoisse (1844), Stades sur le chemin de la vie (1845) et Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques (1846).

Dans ses « Miettes philosophiques » (1844), L'auteur affirme que l'existence de chacun est individuelle et exceptionnelle, irréductible aux groupes et à la famille: « Le devoir de l'individu est d'obéir à sa propre vocation ».


La subjectivité est la base de la vie humaine : toutes les vérités – y compris religieuses – ont besoin d'une appropriation subjective afin de devenir vraies pour l'individu.

Après avoir atteint l’âge inattendu de 34 ans, il donne à son œuvre d’écrivain un tour nettement plus religieux, soucieux de défendre sa vision du christianisme véritable contre l’Église officielle danoise (luthérienne), avec des ouvrages comme la longue série des Discours édifiantsLa maladie à la mort, parfois traduit sous le titre Traité du désespoir, (1849) et L’École du christianisme (1850).

 

En 1854, il s’engage dans de violentes polémiques contre l’Église danoise et ses « 1000 pasteurs salariés » de l’État. Cet événement est connu comme la « guerre contre l’Église » (Kirkestormen). Kierkegaard veut, pour la première fois, agir dans l’actualité (« l’instant ») contre des personnes nommément désignées.

 

La guerre contre l'Église

 

Il commence sa campagne avec une série d'articles dans un quotidien, puis, cinq mois après, avec onze pamphlets qu'il nomme L'Instant (Øjeblikket).

Dans le premier article (décembre 1854), Kierkegaard explique qu'il a été, sa vie durant, empêché de parler franchement de son hostilité à l'Église danoise par respect pour son père et pour un ami de celui-ci, l'évêque luthérien de Copenhague, Mynster. La mort de Mynster lui permet de changer d'attitude et Kierkegaard dit que tous ses écrits antérieurs sont à considérer comme des manœuvres préparatoires, les ruses d'un agent de police pour voir plus profondément.

 

La campagne se caractérise par une constante focalisation sur l'immoralité inhérente d'un christianisme d'État, et par une escalade vertigineuse des invectives et des insultes. Au début, Kierkegaard refuse simplement aux pasteurs, et notamment à Mynster, d'être des « témoins de vérité », puis « ils se moquent de Dieu », deviennent « parjures », négateurs et destructeurs du christianisme pour finir comme « anthropophages ».

 

Piétiste radical, Kierkegaard vomit ce qu'il appelle la « chrétienté culturelle » : l'Église d'État « n'est que culture puisqu'elle cherche à s'adapter au monde et pas au Christ ». Tous ces anathèmes sont lancés avec une constante agressivité, mais en respectant les codes de la pédagogie et de la stylistique. La campagne eut une répercussion énorme au Danemark et dans les autres pays scandinaves. Mais des théologiens (Lindhardt) la jugent « pathologique », tout en reconnaissant son importance, et des historiens danois (Danstrup & Koch) la trouvent « maladive ».

Engagé jusqu'à sa fin

 

En pleine campagne, traqué par la presse de l'époque, moqué par ses contemporains, alors qu'un numéro de Øjeblikket est sous préparation, Kierkegaard meurt à l’âge de 42 ans, à l’hôpital, après s’être effondré dans la rue au cours d’une promenade. Epuisé et pauvre, il écrit dans un des ses journaux : « J'ai toujours fait partie de la minorité, et je veux appartenir à la minorité, et j'espère qu'avec l'aide de Dieu, cela me servira jusqu'à ma fin glorieuse »

 

Présentation générale de sa pensée

 

 

« Il s'agit de comprendre ma destination, de voir ce que Dieu veut proprement que je fasse. Il s'agit de trouver une vérité qui soit vérité pour moi, de trouver l'idée pour laquelle je veux vivre et mourir ».
« Kierkegaard répond à certaines questions fondamentales : Comment devenir humain ? Comment devenir soi-même ? Il montre aussi comment exister en tant que chrétien et ce qu'est la Foi. Et pour lui, l'accomplissement de la liberté de l'homme est en Dieu  »

Le philosophe

 

 

Kierkegaard débute en philosophie par une thèse sur la pratique de l'ironie socratique, dissociant Socrate de Platon à la suite de Hegel et précédant en cela Nietzsche, et analysant aussi l'ironie théorisée par les romantiques allemands. Contrairement à certains préjugés, Kierkegaard connaissait bien l'histoire de la philosophie, que ce soit la philosophie ancienne (ses références à PlatonAristote et aux Sceptiques sont fréquentes) ou la philosophie moderne (de Descartes jusqu'à Hegel et ses zélateurs). En revanche, il connaît mal la philosophie médiévale (notamment l'école thomiste) et partage très largement le mépris dont l'entourèrent Érasme et Luther ; il faudra attendre le néo-thomisme de la fin du XIXe siècle, dans le sillage duquel Heidegger écrivit sa thèse sur Duns Scot, pour que les grands penseurs se penchent à nouveau sur cette période de l'histoire de la philosophie.

 

Kierkegaard est généralement reconnu comme le précurseur de l'existentialisme depuis Jean Wahl et Jean Beaufret, étiquette néanmoins de plus en plus contestée, par exemple par Hélène Politis (voir bibliographie). Il s'est opposé à la philosophie hégélienne, parce que selon lui les philosophies systématiques sont des « palais vides » que leurs auteurs n'habitent pas, c'est-à-dire des édifices abstraits qui sont coupés de la réalité de l'existence concrète et humaine. Il retient néanmoins du hégélianisme la notion de « dialectique » pour l'appliquer non plus à une « Logique » systématique mais à la réalité de l'existence concrète, avec ses imprévus, ses doutes, ses tourments et ses « tonalités affectives ». La dialectique ou reprise se comprendra désormais en termes de « saut » qualitatif dans l'existence, par nature absurde, qui inspirera les notions existentialistes de choix, de responsabilité et d'engagement, où la justification n'est qu'un leurre.

 

Son œuvre a une charpente conceptuelle forte, sans toutefois être un système, qui n'a rien à envier aux plus grands. Kierkegaard conceptualise et met en relation les tonalités affectives[ (« angoisse », « désespoir »), livrant ainsi une psychologie philosophique. Cette attention aux "tonalités affectives" jouera un rôle essentiel dans l'œuvre de Martin Heidegger. Il expose une théorie du temps (de l'« instant » et de la « répétition »), de l'instant comme "carrefour du temps et de l'éternité", et des « stades » de l'existence[21] (esthétique : rapport de l'homme à la sensibilité ; éthique : rapport de l'homme au devoir ; religieux : rapport de l'homme à Dieu) qu'il ne faut pas comprendre de manière chronologique ni de manière logique mais plutôt de manière « existentielle » ; en outre il s'interroge sur les problèmes du langage, notamment la communication (communication directe ou indirecte), le silence et la subjectivité de celui qui parle.

 

Le théologien

 

 

Fervent chrétien et brillant théologien, il s'opposera à l'Église danoise de l'époque, église luthérienne d'État, au nom d'une foi individuelle et concrète. En effet, la religion, l'institution ecclésiastique, la communauté des croyants, forment ce que Kierkegaard appelle la chrétienté, et représentent l'hypocrisie (aller au sermon pour bien se faire voir de la société) et la répression de l'individualité, laquelle s'épanouit au contraire dans le christianisme comme foi vécue, pleine de doutes et d'apprentissages intérieurs, le « devenir-chrétien ». Il écrit ainsi des Discours édifiants (1843-1847), rédigés dans un style personnel s'adressant à la singularité de l'auditeur, qu'il publie à côté de ses œuvres philosophiques et littéraires. Kierkegaard souhaite ainsi restaurer un luthéranisme pur et originel, où la foi prime les œuvres et les justifications ; il théorise par ailleurs longuement la notion de « scandale », d'inspiration biblique, qu'il couple avec la notion philosophique de paradoxe. Le paradoxe, qui maintient définitivement les deux éléments contradictoires, lui permet de rejeter la dialectique comme élément et démarche essentiels de la pensée.

L'écrivain

 

Le travail de Kierkegaard est parfois difficile à interpréter, car il a écrit la majorité de ses premières œuvres sous divers pseudonymes, qui sont autant de personnages inventés, certains s'opposant ouvertement les uns aux autres, et souvent ces pseudo-auteurs commentent les travaux des pseudo-auteurs précédents (par exemple Johannes Climacus et Anti-Climax). Deleuze s'en souviendra lorsqu'il théorisera les personnages conceptuels. Kierkegaard révèle ainsi une profonde créativité littéraire et poétique, qui transpire à travers toutes ses œuvres. Il peut donc être considéré comme un écrivain et un théoricien de la littérature, s'intéressant aux auteurs tant anciens (AristophanePlaton) que modernes (ShakespeareGoethe, et son contemporain Andersen), écrivant lui-même, y compris des pièces de théâtre ; s'intéressant au mythe tragique, à la comédie (farce, vaudeville) et commentant longuement Lessing.

 

Philosophie

 

L'ironie et le doute

 

Dans sa thèse de doctorat, Le Concept d'ironie constamment rapporté à Socrate (1841), Kierkegaard oppose l'ironie socratique à l'ironie moderne des romantiques. À la suite de Hegel, il conçoit l'ironie socratique comme la faculté de négation universelle et illimitée. En effet, Socrate amenait son interlocuteur à nier sa propre position au cours d'un dialogue de type dialectique, c'est-à-dire consistant en questions et réponses argumentées. Socrate feignait de ne rien savoir, et critiquait tous ceux qui prétendaient détenir un savoir, notamment les Sophistes. Kierkegaard se pose en continuateur de l'ironie socratique, et défend l'idée d'une négation absolue face au système hégélien qui prétendait résorber la négation dans le troisième moment, spéculatif et positif. Kierkegaard nie ainsi que les systèmes de l'idéalisme allemand aient dépassé l'ironie socratique, ainsi que la skepsis des Sceptiques et le doute hyperbolique de Descartes, qui sont tous trois, selon Kierkegaard, des attitudes existentielles plus que des doctrines.

 

Kierkegaard met ainsi en parallèle la foi et le doute, qui sont deux attitudes qui se répondent et qui engagent profondément l'homme dans l'existence, bien plus que ne le ferait une doctrine faite de raisons arbitraires et de justifications inutiles. Ces dernières arrivent après la décision existentielle, mais ne peuvent en aucun cas la fonder, et restent superficielles. C'est pour cela que Kierkegaard déclare que « l'instant de la décision est une folie » : on ne peut jamais prévoir les ultimes conséquences de notre saut dans l'existence. De même, Kierkegaard affirme que « plaider discrédite toujours » (Kierkegaard prend ici l'exemple de l'amoureux : demander à quelqu'un pourquoi il aime telle personne, c'est absurde, et même offensant : donner des justifications, c'est montrer que cet amour ne tient pas ; il en est de même de la foi religieuse : il n'y a qu'une différence de degré entre aimer et croire[29]). Le rôle de l'ironie sera donc d'éliminer ces raisons et ces justifications qui font de l'homme un hypocrite, pour le mettre face à son existence et à ses choix. Plus profondément, l'exercice de l'ironie a pour but de défaire les systèmes métaphysiques et scientifiques qui prétendent absorber la contingence de la vie particulière de l'individu. L'ironie est une négativité pure à laquelle rien ne résiste, face à laquelle tout est contingent, même les doctrines prétendument closes et immuables. Quelqu'un qui décide de douter, peut le faire indéfiniment, quoi qu'on lui oppose (bien que cela se rapproche du fanatisme). On pourrait objecter que le doute, à force de s'exercer sur tout, s'emporte lui-même : le doute détruit le doute et fonde la certitude. Mais ce serait à nouveau faire du doute une doctrine (par exemple dialectique, à l'instar de Hegel) et non une attitude singulière.

 

Kierkegaard préfigure l'interprétation de Descartes que donnera Ferdinand Alquié (le doute comme attitude existentielle), contre Martial Guéroult qui fera de Descartes un penseur systématique livrant une métaphysique ordonnée (ce qui se passe quand on lit le doute cartésien comme s'auto-annulant et fondant la certitude de la pensée ordonnée).

 

Subjectivité et foi

 

Deux des idées populaires de Kierkegaard sont la « subjectivité » et la « foi ». Le saut de la foi est sa conception de la manière dont un individu peut croire en Dieu, ou comment une personne peut agir par amour. Il ne s'agit pas d'une décision rationnelle, car elle transcende la rationalité en faveur de quelque chose de surnaturel : la foi, en tant qu'absolu, paradoxe au-delà de la raison. Il pense ainsi que la foi s'accompagne en même temps et paradoxalement du doute. Ce doute met en branle le repos que pourrait procurer la Foi. De fait, l'angoisse s'empare du chrétien, le tiraille et le met face à Dieu. « Le doute introduit, c'est comme le choléra, on ne le chasse plus. Toute défense scientifique ne fait donc que le nourrir, tout essai d'amélioration sociale nourrit le doute. Seuls Dieu et l'éternité ont assez de force pour maîtriser le doute (qui est précisément la force rebelle de l'homme contre Dieu) » Le doute est un élément essentiel de la foi, un fondement. Exprimé plus simplement, croire en Dieu ou avoir foi en son existence, sans jamais avoir douté de son existence ou de sa qualité de Dieu, ne serait pas une foi valable ou méritante. Par exemple, aucune foi n'est exigée pour croire en l'existence d'un crayon ou d'une table, quand on les regarde et les touche. Au contraire, croire ou avoir foi en Dieu consiste à savoir qu'il n'existe aucune perception ou autre accès à Dieu, et pourtant garder sa foi. La foi se caractérise ainsi par le risque, le danger, ce n'est pas une position confortable et sécuritaire. On retrouve ici l'idée du pari pascalien, dirigé contre le Dieu rationnel des philosophes. Croire, c'est prendre le risque que Dieu n'existe pas, car Dieu est indémontrable. La foi est essentiellement dialectique, elle naît de l'échec de la pensée rationnelle poussée à son paroxysme.

 

Kierkegaard souligne également l'importance de la conscience, et la relation de la conscience au monde comme étant fondés sur la conscience de soi et l'introspection. Il soutient dans Post-scriptum définitif et non scientifique aux miettes philosophiques que « la subjectivité est vérité » et que « la vérité est subjectivité ». Cette idée paradoxale ressort d'une distinction entre ce qui est objectivement vrai et la relation subjective qu'entretient un individu avec cette vérité (indifférence ou engagement). Pour Kierkegaard, des gens qui « dans un certain sens » croient aux mêmes choses, peuvent se référer à cette croyance de manière différente. Deux personnes pourraient croire toutes deux que beaucoup de gens autour d'eux sont pauvres et méritent de l'aide, mais cette connaissance peut mener seulement l'une des deux à décider d'aider réellement les pauvres.

 

Cependant, Kierkegaard discute de la subjectivité au travers principalement des questions religieuses, espace pour lui de toutes les questions et réponses. Encore une fois, il soutient que le doute est un élément de foi, et qu'il est impossible d'obtenir une certitude objective à propos d'une doctrine religieuse telle que l'existence de Dieu ou la vie du Christ. Le mieux qu'un individu puisse espérer serait d'arriver à la conclusion qu'il est probable que les doctrines chrétiennes soient véridiques, mais si une personne devait croire de telles doctrines seulement parce qu'elles semblent probablement vraies, il est certain que cette personne ne serait pas véritablement religieuse. La foi serait donc constituée par une relation subjective avec l'engagement absolu pour ces doctrines

.

La répétition ou la reprise

 

 

Kierkegaard fait de la répétition ou reprise (dont il présente le concept dans l’ouvrage éponyme de 1843) la vérité du temps et de l’existence : elle seule peut arracher le premier à sa fuite indéfinie et vaine et la seconde à sa tragique absurdité. À égale distance, d’une part, de la réminiscence platonicienne ou de l’habitude triviale (qui attachent au passé et ne produisent que de l’identique) et, d’autre part, de l’attrait du nouveau ou de la frénésie du changement (qui propulsent vers l’avenir et n’engendrent qu’altérité et altération), la répétition réconcilie, dans l’instant, le temps et l’éternité, le même et l’autre, le re- et le nouveau du renouveau (ou de la renaissance). « La reprise est le pain quotidien, une bénédiction qui rassasie. […] La reprise est la réalité, le sérieux de l’existence. » (Søren Kierkegaard)

 

Pourtant ce prétendu sésame philosophique a d’abord des accents étrangement anecdotiques (et autobiographiques) puisqu’il renvoie explicitement à la reprise (à l’espérance ou à la tentative de reprise) d’une relation amoureuse qui a été précédemment et volontairement rompue. Il donne lieu aussi à une tentative de retour, artificiel et d’avance voué à l’échec, sur les lieux d’un passé heureux (un voyage à Berlin), dans le projet d’y revivre exactement la même expérience. Mais tout cela tourne inévitablement au fiasco, comme s’il ne s’agissait que de dévoiement ou de fourvoiement (sur le mode esthétique ou éthique) de la vraie reprise.

 

Car la répétition ou la reprise authentique n’a de sens que sur un plan religieux, c’est-à-dire au paroxysme de la foi, à la frontière de l’absurde et du miraculeux. Si elle échappe à la stérilité de l’habitude et du ressassement, c’est par ce qui entre en elle de transcendant ou parce qu’elle touche à la transcendance. « La reprise est et demeure une transcendance. » (Søren Kierkegaard) « La reprise a pour fin d’abolir la temporalité afin de déboucher sur la perfection, l’absolu, l’infini qui se situent au-delà de toute temporalité. »  Le meilleur modèle qu’en propose Kierkegaard est celui de Job, le patriarche biblique : fidèle à Dieu et gâté de Lui, il subit tous les revers de fortune, sans faiblir ni douter ni céder à l’opinion commune (exprimée par ses amis bien-pensants) et, du fond de sa déchéance, il ose encore tenir tête à Dieu et revendiquer son droit. Alors Dieu lui donne raison et le rétablit dans tous ses biens, majorés d’un intérêt substantiel. Que retenir de cet exemple ? D’abord que tout se passe au plus intime d’une expérience singulière, chez un témoin et dans une situation véritablement uniques. Et puis que la reprise commence par la perte ou le sacrifice, au nom de l’absolu, de ce qui avait spontanément été pris ou reçu dans son immédiateté et sa jouissance innocente. C’est même ce renoncement ou cette négation du relatif (tenu pour mort) qui rend possible sa soudaine transfiguration ou sublimation (qui est pour lui comme une résurrection et une accession à la vie éternelle). Car, au bout du compte (par une sorte de dialectique qui n’a plus rien d’hégélien dans la mesure où le travail du négatif ne débouche plus ici sur un pas en avant dans le temps mais sur un saut dans l’au-delà… avec donc un changement de plan radical), ce qui avait été perdu se trouve rendu au centuple. « La mort loge au cœur du temps assassin »  comme on l’a toujours reconnu depuis Héraclite ; mais avec la foi chrétienne en la résurrection, comme le dit saint Paul dans son épître aux Corinthiens, « la mort a été engloutie dans la victoire. Où est-elle, ô mort, ta victoire ? […] On sème de la corruption et il ressuscite de l’incorruptible : on sème de l’ignominie et il ressuscite de la gloire ; on sème de la faiblesse et il ressuscite de la force. » Cela s’applique aussi, littéralement, au temps lui-même : tout instant qui se présente nous enlève à jamais tout ce que nous étions, mais il nous restitue aussi, intact et même ouvert sur un potentiel indéfini, tout ce que nous sommes et avons à devenir : c’est-à-dire, pour chacun, soi-même… l’éternellement unique. « C’est pourquoi l’éternité se cache aussi à l’intérieur du temps, prête à le ressusciter à chaque instant, et c’est en fait la vie entière qui doit être vécue comme une reprise. »

 

Les affects

 

 

S. Kierkegaard prend toujours les affects tels que scrupule, crainte, désespoir, angoisse, etc., non comme de simples catégories (cf. Kant) psychologiques, mais comme des modalités dévoilant des possibilités à chaque fois spécifiques de l'existence. C'est en suivant le fil de ces différents « affects » que vont pouvoir seulement s'ouvrir ces possibilités.

 

L'angoisse

 

Kierkegaard prend « l'angoisse » comme fil conducteur, dans le Concept de l'angoisse, pour explorer de quelle manière la liberté s'atteste elle-même à l'existence singulière, de façon paradoxale, seul un être libre pouvant faire l'expérience de l'angoisse - expérience de la liberté comme fardeau et obstacle. L'angoisse est le « vertige du possible », on la ressent lorsque l'on est confronté à une infinité de possibilités et qu'il faut faire un choix. L'angoisse, contrairement à la peur, n'a donc pas d'objet déterminé. On a peur « de quelque chose », mais on n'angoisse pas « de quelque chose ». L'angoisse est indéterminée, elle met en branle l'ensemble de l'existence. Heidegger dira que l'angoisse met en branle l'ensemble de l'être, et nous fait apercevoir le néant

Nous portons la lourde responsabilité de ce choix, et de plus nous ne pouvons pas prévoir si ce choix sera bon ou pas. L'existence se caractérise par son aspect foncièrement contingent et imprévisible, l'homme doit donc se risquer à choisir et à agir sans pouvoir maîtriser totalement son avenir. C'est le sens du « saut » dans l'absurde. Aucune doctrine, aucun système philosophique ou scientifique, aucune dogmatique religieuse ne peuvent rassurer l'homme quant à ses choix, il doit les faire en âme et conscience en dernière instance.

 

La maladie à la mort

 

Emphatiquement dans La Maladie à la mort (autre traduction du Traité du désespoir) mais également dans Crainte et tremblement, Kierkegaard expose que les hommes sont composés de trois parties : le fini, l'infini, et la relation entre les deux qui crée une synthèse. Les finis (les sens, le corps, la connaissance) et les infinis (le paradoxe et la capacité à croire) existent toujours dans un état de tension. Cette tension, consciente de son existence, est l'individu. Lorsque l'individu est perdu, insensible ou exubérant, la personne est alors dans un état de désespoir. Notamment, le désespoir n'est pas l'agonie et ne se résume pas à un simple sentiment ; c'est, au lieu de cela, la perte de l'individu, la négation du « moi » par un désordre dans la synthèse.

 

Les formes de désespoir

 

 

À l'intérieur du concept de désespoir, Kierkegaard distingue plusieurs étapes ou degrés qui mènent l'homme non religieux ou « homme naturel » à la Foi. Dans la destinée de cet individu, trois étapes fondamentales le conduisent à la contemplation divine : le stade esthétique, éthique puis religieux. L'individu a-religieux ou non-religieux se trouve dans le désespoir-faiblesse dans un premier temps ; en ce sens où il n'a pas conscience de son désespoir, vivant dans l'Instant, la luxure. L'individu esthète ne pourra finalement, pour feindre de ne pas tomber dans le désespoir, que se répéter ou plutôt que se ressouvenir des plaisirs instantanés passés, à la manière des Philistins dans le Nouveau Testament. Par la suite, l'individu peut être enclin à se délivrer de ce désespoir-faiblesse par une lutte pour retrouver son Moi et par là sa liberté. Ce combat est suivi du désespoir-défi ou l'on veut être soi-même, c'est-à-dire dans une recherche de la Vérité, de l'éternité et d'autre part dans une prise de conscience de sa finitude. Le désespoir-faiblesse apparait lorsque le désespéré ne veut point être lui-même. Mais rien qu'à un degré dialectique de plus, si ce désespéré sait enfin pourquoi il ne veut point l'être, alors tout se renverse, et nous avons le défi, justement parce que, désespéré, il veut être lui-même. Ainsi, le rapport à son Moi est infini, reflet de l'éternité. Cependant, cet infini n'est pas rapporté à Dieu mais lié au temporel. Ce n'est qu'un sérieux frauduleux : comme le feu volé par Prométhée aux dieux ici on vole à Dieu la pensée qu'il nous regarde, et c'est là le sérieux ; mais le désespéré ne fait que se regarder, en prétendant ainsi conférer à ses entreprises un intérêt et un sens infinis, alors qu'il n'est qu'un faiseur d'expériences. En somme, le Moi ne peut se retrouver dans l'infini sans Dieu ; car le Moi ne peut se démultiplier pour devenir plus qu'il n'est. Cette recherche du moi présente ses limites puisque son action reste hypothétique et tourne finalement à vide si ce Moi reste actif. Si ce Moi désespéré est passif, niant « les donnés concrètes », alors il reste aliéné intérieurement. Ce désespéré se perd dans des tourments concrets (montrer sa domination infinie sur le reste des hommes et se justifier à travers autrui). Il a formé d'abord une abstraction infinie de son moi, mais le voila à la fin devenu si concret qu'il lui serait impossible d'être éternel dans ce sens abstrait, alors que son désespoir s'obstine à être lui-même. Le prix de cette recherche du Moi est finalement ce défi devant Dieu, en ne se remettant qu'au temporel, le sujet refuse le secours divin en se rendant prisonnier de son Moi fini. Au lieu de s'en reporter à l'éternité, il fait sien tout ce que son Moi ne peut atteindre (l'épine dans la chair). Ainsi, le désespoir-défi apparaît.

 

Communication indirecte et pseudonymes d'auteur

 

La moitié des travaux de Kierkegaard a été écrite sous le masque de divers personnages-pseudonymes qu'il créa pour représenter ses différentes manières de penser. C'est là une partie de la communication indirecte de Kierkegaard. D'après plusieurs passages de son travail et de ses journaux, tel Point de vue explicatif de mon œuvre d'écrivain, Kierkegaard rédigea de cette façon afin d'empêcher ses travaux d'être traités comme un système philosophique avec une structure systématique. Dans cet ouvrage posthume, il écrit : « Dans les travaux pseudonymes, il n'y a pas un mot simple qui est le mien. Je n'ai aucune opinion au sujet de ces travaux sinon en tant que tierce personne, aucune connaissance de leur signification, excepté comme un lecteur, pas la moindre relation privée ou distanciée avec eux. »

 

Kierkegaard a employé la communication indirecte pour empêcher ou gêner ceux qui chercheraient à s'assurer que l'auteur soutient réellement les idées présentées dans ses œuvres. Il a espéré que les lecteurs liraient simplement son travail pour sa valeur informelle, c'est-à-dire sans chercher à l'attribuer et l'interpréter selon certains aspects de sa vie. Kierkegaard cherchait également à éviter que le lecteur considère son travail comme un système faisant autorité. Il voulait plutôt que le lecteur trouve par lui-même des manières de l'interpréter. Kierkegaard pensait aussi que la communication indirecte (telle l'ironie de Socrate) était le seul moyen de mener le lecteur au delà de l'auteur. Dans la mesure où l'enjeu de son œuvre était de faire non pas des disciples de Kierkegaard, mais des disciples du Christ, le mode de communication ne pouvait qu'être indirect (voir les Miettes philosophiques).

 

 

Première réception

 

Les premiers commentateurs, tel Theodor W. Adorno, ont négligé les intentions de Kierkegaard et prétendu que l'intégralité de la production écrite de Kierkegaard devait être analysée comme étant les propres idées personnelles et religieuses de l'auteur. Mais cette approche mène nécessairement à certaines confusions et contradictions et rendent alors Kierkegaard incohérent. Ainsi, des commentateurs ultérieurs, H-B. Vergote notamment, ont choisi de respecter les intentions de Kierkegaard et ont interprété son travail en laissant aux textes pseudonymes leurs auteurs respectifs. Pour eux, il s'est agi de comprendre le travail philosophique de Kierkegaard en sa spécificité, et non de réduire Kierkegaard à sa seule biographie ou à son prétendu profil psychologique.

 

Théologie et existentialisme

 

Le théologien jésuite Henri de Lubac évoque Kierkegaard dans Le Drame de l'humanisme athée (1942), avec Dostoïevski, comme un penseur chrétien contre la barbarie moderne, à côté de l'impasse de l'humanisme athée (lequel mène au nihilisme et est impuissant à combattre les horreurs à venir au XXe siècle, selon l'auteur) représenté par le quadrivium FeuerbachMarxComte et Nietzsche. Kierkegaard fut de manière plus générale très influent dans les milieux théologiques (notamment pour sa conception de Dieu comme événement transcendant et inaccessible, en réaction au rationalisme hégélienprotestants (BarthTillich) et catholiques, à l'instar de Pascal, à qui on le compare parfois.

 

 

Le philosophe royaliste et catholique Pierre Boutang, dans l'Apocalypse du désir (1979, rééd. 2009), joint Kierkegaard aux Pères de l'Église dans ses influences pour repenser le désir dans l'optique d'une métaphysique chrétienne.

 

Kierkegaard eut également une grande influence sur la philosophie existentialiste lors de la première moitié du XXe siècle, mais il semble que celle-ci ait fait de nombreux contresens sur la pensée du Danois, en plus de nier sa qualité de philosophe en tant que tel (voir par exemple les écrits de JaspersSartreMarcel ou encore Camus). De même, Kierkegaard a influencé le philosophe Heidegger, qui lui a repris des concepts phares comme l'angoisse ou la répétition. Heidegger dira d'ailleurs : « Mon compagnon de route dans la recherche fut le jeune Luther et mon modèle Aristote, que le premier détestait. Kierkegaard me donnait des impulsions, et les yeux, c'est Husserl qui me les a implantés ». Mais Heidegger fut finalement ingrat à l'égard de son prédécesseur, déclarant plus tard avec arrogance que « Kierkegaard n'est pas un penseur, mais un auteur religieux », et ne le citant que rarement lorsqu'il réinterprète les concepts qu'il lui emprunte (exception faite de notes dans Être et Temps).

 

En résumé, la théologie chrétienne récupère Kierkegaard en tant que théologien ennemi du rationalisme (notamment athée) essentiellement, et la philosophie existentialiste « laïcise » la pensée de Kierkegaard tout en le réduisant à un auteur religieux et autobiographique.

 

Philosophie postmoderne

 

La deuxième moitié du XXe siècle semble manifester la réhabilitation de Kierkegaard parmi les représentants majeurs de la philosophie en tant que telle (et non seulement de la théologie ou de l'autobiographie). Gilles Deleuze présente Kierkegaard comme un philosophe de la différence et de la répétition, avec Nietzsche et Charles Péguy, dans Différence et répétition (1968), et comme un brillant inventeur de personnages conceptuels dans Qu'est-ce que la philosophie ? (1991), avec ses pseudonymes, ses analyses de Don JuanFaustAhasvérus et le Séducteur, n'ayant rien à envier à Nietzsche et son Zarathoustra. Kierkegaard est ainsi souvent rapproché de Nietzsche (par Jacques Colette par exemple, cf. la bibliographie), parce qu'il combat l'hyperrationalisme, réhabilite la notion de « devenir », revalorise l'individualité contre la masse, critique l'hypocrisie morale et l'idôlatrie religieuse, et s'intéresse à l'art et à la littérature comme à des phénomènes essentiels.

 

Dans le même ordre d'idées, une autre valorisation improbable de Kierkegaard est née : la réinterprétation de sa conception de la subjectivité par le philosophe des sciences Paul Feyerabend. Ainsi, ce dernier écrit : « N'est-il pas possible que la science telle que nous la connaissons aujourd'hui, ou la « recherche de la vérité » dans le style philosophique traditionnel, engendre un monstre à l'avenir ? N'est-il pas possible que l'approche objective qui rejette les relations personnelles entre les entités examinées soit dommageable pour les gens, les rende malheureux, hostiles, comme des machines autosatisfaites sans charme ni humour ? « N'est-il pas possible, demande Kierkegaard, que mon activité d'observateur objectif [ou critico-rationnel] de la nature affaiblisse ma qualité d'être humain ? » Je soupçonne que la réponse à quelques-unes de ces questions soit affirmative, et je crois qu'une réforme des sciences qui les rende plus anarchistes et plus subjectives (au sens de Kierkegaard) est urgente et nécessaire. »

 

Jacques Derrida, quant à lui, convoque Kierkegaard pour une méditation profonde sur la mort et le cas d'Abraham.

Kierkegaard est alors vu comme un véritable philosophe, non comme un simple auteur autobiographique ou dévot. On le considère comme le représentant d'un certain pluralisme philosophique, d'un refus de l'objectivité froide qui nie la dignité humaine (Paul Feyerabend) ou d'une métaphysique nouvelle qui ne réduit pas la différence à l'identique (Gilles Deleuze).

Programme scolaire

 

Kierkegaard est également au programme scolaire de terminale en France, ce qui signifie qu'il peut être étudié pour l'oral du baccalauréat et pour la préparation de l'agrégation.

Références

 

Dans le film du réalisateur danois Carl Theodor DreyerOrdet (en français, La parole, 1955), adapté de la pièce de théâtre de Kaj Munk, 1925, le personnage Johannes, second fils du pasteur Morten Borgen, paraît devenir fou après s'être consacré à la lecture de Kierkegaard. Reprochant à ses proches leur absence de foi, il prétend lui-même s'identifier au Christ ; l'histoire tourne pour une grande part autour de son comportement étrange et qui semble à presque tous relever de la folie.

 

Liste des pseudonymes

 

Les pseudonymes les plus importants de Kierkegaard, dans l'ordre chronologique :

  • Victor Eremita, rédacteur de Ou bien... ou bien
  • A, auteur de nombreux articles dans Ou bien ... ou bien
  • Juge William, auteur des réfutations à A dans Ou bien ... ou bien
  • Johannes de Silentio, auteur de Crainte et tremblement
  • Constantin Constantius, auteur de la première moitié de La répétition
  • Jeune Homme, auteur de la deuxième moitié de La répétition
  • Vigilius Haufniensis, auteur de Le concept d'angoisse
  • Nicolaus Notabene, auteur des Préfaces
  • Hilarius le Relieur, rédacteur des Étapes sur le chemin de la vie
  • Johannes Climacus, auteur des Miettes philosophiques... et de Post-scriptum...
  • Inter et inter, auteur de La crise et une crise dans la vie d'une actrice
  • H.H., auteur de Deux essais éthico-religieux
  • Anti-Climacus, auteur de La maladie à la mort et de Pratique dans la chrétienté.

Principales œuvres

 

 
 
 
 

(par ordre chronologique)

 

  • Les papiers d'un homme encore en vie. Essai sur un roman de Hans Christian Andersen (Af en endnu Levendes Papirer) (1838)
  • Thèse : Du concept d’ironie constamment rapporté à Socrate (1841)
  • Ou bien... ou bien ou L'alternative, (Enten - Eller) (1843)
  • Johannes Climacus, ou, Il faut douter de tout (1843, posthume)
  • Discours édifiants (1843-1847)
  • Crainte et tremblement, lyrisme dialectique, (Frygt og Bæven) (1843)
  • Le Journal du séducteur, (Forförerens Dagbog) (1843)
  • La répétition, un essai de psychologie expérimentale ou La reprise, (Gjentagelsen) (1843)
  • Miettes philosophiques, (Philosophiske Smuler) (1844)
  • Préfaces, lectures amusantes pour certaines classes sociales suivant les temps et les circonstances, par Nikolaus Notabene (1844)
  • Du concept d’angoisse, (Begrebet Angest) (1844)
  • Etapes sur le chemin de la vie, (Stadier paa Livets Vei) (1845)
  • Coupable ? Non coupable ? (1845)
  • L’histoire d’une passion (1845)
  • Expérience psychologique, par Frater Taciturnus (1845)
  • Post-scriptum définitif et non scientifique aux miettes philosophiques par Johannes Climacus, publié par Sören Kierkegaard (1846)
  • Un compte rendu littéraire (1846)
  • Discours édifiant à plusieurs points de vue (1847)
  • Les actes de l’amour. Quelques méditations chrétiennes sous forme de discours (1847)
  • Discours chrétiens (1848)
  • Traité du désespoir ou La Maladie mortelle, exposé de psychologie chrétienne pour l’édification et le réveil, par Anticlimacus (Sygdommen til Døden) (1849)
  • Le lis des champs et l’oiseau du ciel. Trois discours pieux (1849)
  • Deux petits traités éthico-religieux (1849)
  • Sermons sur la communion du vendredi (1849-1851)
  • L’école du christianisme, par Anticlimacus (1850)
  • Pour un examen de conscience, recommandé aux contemporains (1851)
  • Juge-toi toi-même (1851)
  • Sur mon œuvre d'écrivain (1851)
  • L’instant (1855)
  • Hvad Christus dømmer om officiel Christendom. 1855. (Ce que le Christ juge du christianisme d'état.)
  • Point de vue explicatif de mon œuvre d'écrivain (posthume)
  • Journal (posthume)

Éditions en français

 

(par ordre chronologique)

 

  • Œuvres Complètes, L'Orante, 1966-1984. 20 vol. Traduction par Paul-Henri Tisseau
  • Le concept de l'angoisse, Paris, Gallimard, "Folio Essais", 1977, ISBN 2-07-035369-9
  • Etapes sur le chemin de la vie, Paris, Gallimard, « Tel », 1979, ISBN 2-07-028688-6
  • Ou bien... ou bien..., Paris, Gallimard, « Tel », 1984, ISBN 2-07-070107-7
  • Traité du désespoir, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1988, ISBN 2-07-032477-X
  • Miettes philosophiques / Le concept de l'angoisse / Traité du désespoir, Paris, Gallimard, « Tel », 1990, ISBN 2-07-071961-8
  • Le Journal du séducteur, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1990, ISBN 2-07-032516-4
  • Oeuvres, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1993, éd. Régis Boyer (contient Ou bien...Ou bienLa RepriseStades sur le chemin de la vieLa Maladie à la mort), dans les traductions de Paul-Henri et Else-Marie Tisseau, ISBN 2-221-07373-8
  • Les miettes philosophiques, Paris, Le Seuil, « Points-Essais », 1996, ISBN 2-02-030705-7
  • Johannes Climacus ou Il faut douter de tout, Paris, Rivages, « Rivages poche /Petite Bibliothèque », 1997, ISBN 2-7436-0228-7
  • Crainte et tremblement, Paris, Rivages, « Rivages poche / Petite Bibliothèque », 2000, ISBN 2-7436-0587-1
  • Post-scriptum aux Miettes philosophiques, Paris, Gallimard, « Tel », 2002, ISBN 2-07-076585-7
  • La Répétition, Paris, Rivages, « Rivages poche / Petite Bibliothèque », 2003, ISBN 2-7436-1077-8
  • Exercice en christianisme, Paris, Éditions du Félin, 2006, ISBN 2-86645-630-0
  • La maladie à la mort, Paris, Fernand Nathan, « Les Intégrales de Philo », 2006, ISBN 2-09-182516-6
  • La Reprise, Paris, GF-Flammarion, 2008, ISBN 2-08-121419-9
  • In vino veritas, Paris, L'Herne, 2011, ISBN 9782851979407
  • La Crise ou une crise dans la vie d'une actrice, Paris, Rivages poche (Petite Bibliothèque), 2012
  • Correspondance, Paris, Éditions des Syrtes, 2003.

 

Bibliographie francophone

 

  • Kierkegaard. Retour de Kierkegaard / Retour à KierkegaardKairosno 10, 1997.
  • Kierkegaard et la raison philosophiqueArchives de philosophie, tome 76, numéro 4, octobre-décembre 2013.
  • Søren Kierkegaard et la critique du religieuxNordiques, numéro 10, printemps-été 2006.
  • Rodolphe Adam, Lacan et Kierkegaard, Paris, PUF, 2005.
  • Theodor W. AdornoKierkegaard. Construction de l'esthétique (1933), Payot, 1979.
  • Chantal Anne, L'amour dans la pensée de Soren Kierkegaard: Pseudonymie et polyonymie, L'Harmattan, 1991
  • Philippe ChevallierÊtre soi. Actualité de Søren Kierkegaard, Paris, François Bourin, coll. « Actualité de la philosophie », 2011.
  • David Brezis, Temps et présence, Essai sur la conceptualité kierkegaardienne, Paris, Vrin, 1991.
  • David Brezis, Kierkegaard et les figures de la paternité, Paris, Cerf, 1999.
  • David Brezis, Kierkegaard et le féminin, Paris, Cerf, 2001.
  • Olivier Cauly, Kierkegaard, Paris, PUF, 1991.
  • Léon ChestovKierkegaard et la philosophie existentielle. Vox clamantis in deserto, Paris, Vrin, 1938.
  • André Clair, Pseudonymie et paradoxe, La pensée dialectique de Kierkegaard, Paris, Vrin, 1976.
  • André Clair, Kierkegaard, penser le singulier, Paris, Cerf, 1993.
  • André Clair, Kierkegaard, existence et éthique, Paris, Cerf, 1997.
  • André Clair, Kierkegaard et autour, Paris, Cerf, 2005.
  • André Clair, Kierkegaard et Lequier : lectures croisées, Paris, Cerf, 2008.
  • Jacques Colette, Histoire et absolu : essai sur Kierkegaard, Paris, Desclée, 1972.
  • Jacques Colette, Kierkegaard et la non-philosophie, Paris, Gallimard, « Tel », 1994.
  • Vincent DelecroixSingulière philosophie : Essai sur Kierkegaard, Paris, éditions du Félin, 2006, ISBN 2-86645-627-0
  • Jacques DerridaDonner la mort, Galilée, 1999.
  • Jean-Guy Deschênes, Le concept de fondement ou les confessions d'un hypocrite - Réflexions à la manière de Kierkegaard à partir du Concept d'angoisse, Éditions du Grand Midi, Zurich, Québec, 1999.
  • Dominic DesrochesExpressions éthiques de l'intériorité : Éthique et distance dans la pensée de Kierkegaard, Préface d'André Clair, Québec, Inter-Sophia, PUL, 2008, ISBN 978-2-7637-8625-4.
  • Flemming Fleinert-Jansen, Le Chant du veilleur, Lyon, Olivetan 2012.
  • Georges GusdorfKierkegaard, Seghers, 1963, réédition CNRS Éditions, 2011.
  • Charles Le Blanc, Kierkegaard, Les Belles Lettres, 1998.
  • Jean Malaquais, Sören Kierkegaard : foi et paradoxe, Paris, Union générale d'éditions, 1971.
  • Hélène Politis, Kierkegaard, Paris, Ellipses, « Philo-philosophes », 2002
  • Hélène Politis, Le vocabulaire de Kierkegaard, Paris, Ellipses, « Vocabulaire de... », 2002
  • Hélène Politis, Kierkegaard en France au XXe siècle, Archéologie d'une réception, Paris, Ellipses, 2005.
  • Hélène Politis, Répertoire des références philosophiques dans les Papirer de Søren Kierkegaard, Paris, Publications de la Sorbonne, 2005.
  • Hélène Politis, Le concept de philosophie constamment rapporté à Kierkegaard, Ed. Kimé, 21 janvier 2009
  • Charles-Eric de Saint Germain, L'Avènement de la Vérité. Hegel, Kierkegaard, Heidegger, L'Harmattan, 2003
  • Pierre-André Stucki, Le Christianisme et l'Histoire d'après Kierkegaard, Basel, Verlag für Recht und Gesellschaft, 1963
  • Henri-Bernard Vergote, Sens et Répétition : Essai sur l'ironie kierkegaardienne, Ed. Le Cerf, 1982.
  • Henri-Bernard Vergote, Lectures philosophiques de Soren Kierkegaard, Ed. PUF, 1993.
  • Nelly Viallaneix, Écoute, Kierkegaard. Essai sur la communication de la Parole, 2 volumes, Préface de Jacques Ellul, Paris, Cerf, 1979.
  • Stéphane VialKierkegaard, écrire ou mourir, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Perspectives critiques », 2007, ISBN 2-13-056370-8(chronique de ce livre sur France Culture le 20 mars 2008)
  • Jean WahlÉtudes kierkegaardiennes, Bibliothèque d'histoire de la philosophie, Paris, Librairie philosophique, 1949.
  • Jean WahlKierkegaard, L'Un devant l'Autre, Paris, Hachette, 1998

 

Bibliographie anglophone

 

  • Mark Dooley (en)The Politics of Exodus. Kierkegaard's Ethics of Responsibility, New York, Fordham, 2001.

Citations

 

  • « Pour un homme cultivé, voir une farce c'est comme jouer à la loterie, sans le désagrément de gagner de l'argent. » La reprise, 1843.
  • « Il ne faut pas dire du mal du paradoxe, passion de la pensée : le penseur sans paradoxe est comme l'amant sans passion, une belle médiocrité. » Miettes philosophiques, 1844.
  • « Croire, c'est, étant soi-même et voulant l'être, plonger en Dieu à travers sa propre transparence. » Traité du désespoir, 1849.
  • « La raison d'être de la chrétienté [Église établie, institutionnelle telle que « l'Église danoise » par exemple] est de rendre si possible le christianisme impossible. » L'instant, mai 1855.
  • "Je suis un trop grand philosophe pour un si petit pays".
  • "Il y a comprendre et comprendre."
  • "Toute tombe est une prédication."
  • "Le public, la foule, est la non-vérité."

 

09:28 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (0)

24/05/2019

Napoléon Peyrat: chantre du Catharisme et des Camisards:

 

 

 

 

 

Napoléon Peyrat: chantre du Catharisme et des Camisards:

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est en Ariège que le Pasteur Napoléon Peyrat verra le jour en 1809, sur cette terre où le Protestantisme a planté de profondes racines. Ce poète, historien, pasteur, sera un fervent défenseur de la culture Occitane.

 

 

 

 



Bien qu'il soit extrêmement libéral, aux idées radicalement avancées, puisqu'il fut membre du félibrige rouge, il sera, par une heureuse inconséquence, comme d'autres avant et après lui ( cf Louis Second et sa traduction de la Bible), un défenseur de l'Orthodoxie, et le chantre du petit peuple Cévenole. Au strict Protestantisme qui s’est levé lors des guerres Camisardes pour la défense du pur Evangile, il lui a fallu un courage certain pour oser passer outre la réprobation du protestantisme officiel, qui préférait jeter un voile pudique sur cette période si décriée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est en 1842 que sorti "les Pasteurs du désert" véritable plaidoyer pour les insurgés. De 1870 à 1882 ce sera la monumentale "histoire des Albigeois" ( 5 volumes) qui sera la première réhabilitation du Catharisme.

 

 

 




                              Patrick Cabanel et Philippe Robert
                                      Cathares et Camisards
                              " L'Oeuvre de Napoléon Payrat"
                                          ( 1809-1881)
                              Les Presses du Languedoc ( 1998)

 

 

 

 



                                
                                           Pasteur  Blanchard

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

08:57 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (0)

13/11/2018

Ukraine si russe !

 

 

 

 

Capture-27-710x475.png

 

 

 

 

De retour de Kiev et Odessa, nous pouvons dire que le calme le plus absolu règne en Ukraine, exception faite du sanglant conflit armé dans le Donetsk. Mais il faut se méfier de l’eau qui dort. L’Ukraine est en faillite et ses dirigeants actuels corrompus, arrivés au pouvoir suite au coup d’État de la place Maïdan – derrière lequel était la CIA, comme l’a affirmé Poutine lors de sa longue interview par le célèbre journaliste américain Oliver Stone en 2017, et comme évoqué dans une tribune de Mediapart, toujours en 2017 -, conduisent un pays mécontent dont la majorité des habitants est pro-russe, dans une impasse géopolitique polono-états-unienne.

 

 

 

Tous les Ukrainiens sans exception parlent et comprennent le russe, qui est la langue dominante dans les grandes villes telles que Kharkiv, Kiev et Odessa. Jusqu’aux invasions tartaro-mongoles du XIIIe siècle, le russe, le biélorusse et l’ukrainien ne formaient qu’une seule langue commune. L’ukrainien, très proche du russe, s’écrit avec le même alphabet cyrillique. En fait, seule la Galicie, très longtemps polonaise ou austro-hongroise, regarde davantage à l’ouest qu’à l’est.

 

 

La Russie est née avec la Rous’ de Kiev (882-1169) lorsque le prince varègue Oleg, venu de Novgorod, s’empare de Kiev en 882 pour former un des plus grands États d’Europe au Xe siècle, de la Baltique à la mer Noire. La Russie devient chrétienne orthodoxe lors de la conversion, en 988, du prince Vladimir de la Rous’ de Kiev à Kherson, dans le sud de l’Ukraine. Aujourd’hui, l’Ukraine est un pays majoritairement orthodoxe.

 

 

 

L’Ukraine bascula du côté russe lors de la révolte du cosaque zaporogue Bohdan Khmelnitski contre la domination polonaise lorsqu’il décida de s’allier, en 1654, avec la Russie et lorsqu’en 1709, les 45.000 hommes de Pierre le Grand écrasèrent, à la fameuse bataille de Poltava, les troupes du cosaque zaporogue Mazepa qui s’était allié à l’armée de Charles XII de Suède. Odessa fut fondée par Catherine II à la place d’une forteresse turque conquise par les Russes en 1792.

 

 

 

Quant à la Crimée, elle a toujours été russe depuis que le khanat de Crimée a été vaincu en 1774 par les troupes russes de Catherine II. Elle a été seulement ukrainienne dans le cadre de l’URSS lorsque Khrouchtchev, en 1954, décida de faire don de la Crimée à l’Ukraine pour fêter les 300 ans du pacte militaire signé par Bohdan Khmelnitski.

 

 

 

L’Ukraine, nonobstant son origine russe, a donc été sous souveraineté russe durant trois siècles, de 1654 à 1991. Seul l’écroulement de l’URSS a abouti à la création de l’Ukraine, comme État indépendant.

 

 

 

Gogol, Boulgakov, Prokofiev que tout le monde considère comme des Russes sont, en fait, d’origine ukrainienne. Pour Gogol, qui n’a jamais soutenu une idée patriotique ukrainienne, les cosaques ne sont pas l’expression du patriotisme ukrainien mais de l’esprit russe.

 

 

 

Face à la Chine en Sibérie, face au monde musulman de l’Asie centrale, du Caucase et de la Turquie, l’Europe de l’Ouest a besoin d’un chien de garde de 200 millions d’habitants à l’Est qui ne peut être qu’une Russie comprenant de nouveau l’Ukraine et la Biélorussie. L’Ukraine, n’en déplaise à la Pologne, à l’OTAN, aux États-Unis et à la pensée unique, est russe et doit redevenir russe !

 

 

 

09:54 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (0)

07/09/2018

Le lion Chestov:

 

 

 

 

Le lion Chestov 1.jpg

 

 

 

 

 

En Russie, littérature et philosophie se recoupent, plus que chez nous. Pour Chestov, il n’y a pas davantage d’art pour l’art que de pensée pour la pensée. Ses trois articles, respectivement sur Pouchkine (1899), Tolstoï (1908) et Tchekhov (1905), montrent que sa démarche du côté de la littérature reste dans les pas du philosophe : elle est tout existentielle. C’est le secret existentiel de chaque écrivain que Chestov fouille. Son objet n’est pas tant de faire apparaître une œuvre qu’un homme.

 

 


Léon Chestov, L’homme pris au piège. Pouchkine, Tolstoï, Tchekhov. Préface de Boris de Schlœzer. Trad. du russe par Sylvie Luneau et Boris de Schlœzer. Christian Bourgois, 123 p., 7 €


 

 

Comment s’y prend-il ? Que lui importent une fois encore les propylées de la raison, puisqu’il veut toujours entrer « là où il n’y a pas de porte ». C’est pour lui le meilleur chemin, tout ouvert aux yeux sillés et à l’âme dessillée. Il écrit dans un éblouissement qui est son rugissement.

 

 

Pensées, sentiments, actes, exposés dans une œuvre, peuvent, selon lui, amener à des découvertes que les gens normaux (par conséquent normés) ne veulent pas connaître. Il faut déchirer le sauf-conduit qui nous a été remis à la naissance, pour connaître et établir notre propre règle de vie. Si un homme peut enfin devenir déraisonnable et appréhender la vie dans toutes ses dimensions, vaut-il la peine de croire en la raison et d’y perdre du temps ? C’est une conduite de vie et de rupture qu’indique ainsi chaque texte de Chestov. Chaque texte est une protestation « pour surmonter ce cauchemar de nos limites spirituelles qui a pour nom la science contemporaine ». Et qui est le mieux placé, ou plutôt qui se place le mieux « dans l’axe de détresse », comme l’écrit Péguy, pour regarder, affronter, surmonter, à défaut de vaincre, un tel cauchemar ? Qui, sinon celui dont l’écriture est dépistage ? Celle-ci se révèle innocente, presque neutre parfois : c’est ce qui la rend insigne. Écoutons : « Dans un mois il se sera écoulé un siècle depuis la naissance d’Alexandre Sergueievitch Pouchkine et, malheureusement, presque soixante-deux ans depuis le jour de sa mort » ; « Il y a cinquante ans, lors de son séjour à Paris, Tolstoï assista un jour à une exécution capitale. Nulle part il ne décrit en détail les impressions retirées de ce terrible spectacle » ; « Tchekhov est mort et on peut maintenant parler de lui librem

 

 

Ce sont les premières phrases des petits essais que Léon Chestov consacre à Pouchkine Tolstoï et Tchekhov. Le lion ici est bien calme, presque caressant, inoffensif, tout de bénignité. Il avance à pas mesurés. Il sonde les équilibres. À Pouchkine, la naissance et la mort : Pouchkine est le cercle parfait. Il délimite en quelque sorte la Russie en lui donnant sa langue. À Tolstoï, le spectacle d’une mort soudée au supplice. À son tour, en 1910, sur l’échafaud provincial d’une petite gare, Tolstoï donnera au monde à voir sa propre mort. Soudée à ses tourments. À Tchekhov, la mort en tant que liberté laissée, léguée à ceux qui restent provisoirement. Une mort source d’avenir humain pour les autres.

 

 

 

Ainsi, Chestov retire et présente d’emblée ces deux diamants de notre terre : la vie et la mort. À elles deux, en quelque sorte, la raison de toute chose, qu’il refusera toujours à la raison même. La vie et la mort, à l’état brut si l’on peut dire, sont pour lui la seule science. Elles ne sont pas à délibérer mais à libérer. Elles ne sont pas à mettre en balance. Elles constituent la balance même. Elles soupèsent. Pour Chestov, il ne faut tout de même pas inverser les rôles, la vie et la mort mandent l’homme à chaque tournant. Et leur jonction est organique. Pour l’artiste, l’art est cette jonction même. Elle est dans le corps de l’œuvre comme dans le corps de l’homme : elle les articule.

 

 

 

Pouchkine ? Un « vaincu plus heureux que son vainqueur » qui l’a tué en duel. Tolstoï ? Avec lui « the time is out of joint. Et j’ajouterai : nous ne bougerons pas le petit doigt pour ramener le temps à sa place : qu’il vole en éclats ! » Tchekhov ? « Je ne sais pas, répond Tchekhov à tous ceux qui pleurent, à tous les suppliciés. » Notons que Chestov le fait répondre ici en quelque sorte à Tolstoï.

 

 

Aucun des trois ne nous abandonne dans un « sommeil de brute ». Seulement, le cas Tolstoï est des plus signifiants. Il voudrait bien dormir, lui, dans le lit d’un christianisme qu’il croit avoir raisonnablement refait. À sa mesure. Et à sa satisfaction : ses bottes ôtées, nettoyées et recousues par lui, le barine, son pot de chambre préparé et vidé, toujours par lui. Parfait. Hélas ! note Chestov, son sommeil va se révéler convulsif. Chez Tolstoï, la raison est convulsive ou elle n’est pas. La recherche religieuse ne pourra jamais être que lutte désordonnée avec soi et son entourage. Il n’y a pas d’autre moyen, quand on veut se priver de la tiédeur de l’Esprit dans l’Église pour tous : si tous n’atteignent pas l’excellence, au moins tous obtiennent la moyenne. Devant cela, Tolstoï enrage et finit par s’enfuir, et dans cette fuite même on entend déjà Chestov qui approuve et hurle à la suite. Pourquoi s’en étonner, quand la raison au cours des siècles a stérilisé à ce point l’étonnement, sinon la colère ou la joie (on peut préférer cette autre face) d’être ? « Alors naît en l’homme la ferme résolution de rompre une fois pour toutes avec cette alliée pitoyable et spécieuse. »

 

 

D’une étude l’autre, d’un livre l’autre, Chestov fait toujours le même procès. Comme si chaque homme n’avait qu’une chose à dire, à démêler de lui-même et puis à dire. Convaincu de son bon droit, peu raisonnable, mais il s’en vante, Chestov assène et n’assoit rien. Et les coups de gueule au cœur de la philosophie, dans la chère promenade de Kant et sous la fenêtre mal fermée de la raison d’Auguste Comte, cela lui va. Il cherche aussi des alliés, des appuis, des signes en chair et en os, pour avancer là où il n’y a pas de chemin, entrer là où il n’y a pas de porte, puisque chaque homme est le chemin qu’il doit tracer et la porte qu’il lui faut ouvrir, faute de quoi sa propre géhenne l’engloutit. « Tandis que ce qu’il trouve en lui-même est à tel point insolite, sordide, désordonné, chaotique, extravagant, repoussant, que tout cela doit être voué à la destruction, à l’anéantissement. Tchekhov a décrit incomparablement ce genre d’états d’âme. » Pas seulement Tchekhov, bien sûr, et pas seulement la littérature russe. Chestov ira voir aussi du côté d’Ibsen.

 

 

Il ne peut y avoir d’école d’art selon Chestov, pour qui « tout écrivain original se pose toujours, envers et contre tous, son propre but ». Il y a d’abord quelque chose qui se brise en un homme et devient l’encre de son écriture. Et s’il écrivait déjà avant, ce sera une autre écriture. Tchekhov, par exemple, passe d’un humour inoffensif au « chantre de la désespérance. Il tuait les espoirs humains ». Si l’on s’en tient à cette perspective chestovienne, chaque artiste commet en quelque sorte, aux yeux de la société, une transgression, un crime. Et la société finit, sous le bruit même de ses applaudissements, il est vrai de plus en plus teintés de réticences, par s’en venger. Aussi, la mort de Pouchkine apparaît comme le châtiment qu’exercent les classes dirigeantes pourries. Celle de Tolstoï, c’est le poids honni de ces mêmes classes (dont Tolstoï, riche propriétaire, fait partie, et c’est bien là son déchirement) que ne supporte plus et rejette le penseur comme l’écrivain.

 

 

Au milieu de tout cela, Chestov n’écrit pas : il commence par jeter les habituels encriers. Il n’est pas pour les prudences, même si en passant il interroge Renan, mais il préfère asséner (et comme il s’y montre à l’aise !) ses coups de boutoir. Non, il n’a pas la passion de l’ingratitude. Vaincu, il serait plus heureux que son vainqueur. D’ailleurs, il ne tente pas de vaincre, mais coûte que coûte veut chercher, tel un lion qui, avec dans la gueule une proie qu’il refuse de lâcher, continuerait son étrange chasse dont il ne sait rien à vrai dire. Sauf qu’elle doit être, et que la raison qui exige qu’on l’arrête ne nous apporterait pas la paix. C’est alors qu’une fois de plus, à la lecture de Chestov, lui aussi infatigable « chercheur de trésors cachés », nous suivons son effort, nous entendons quelque chose qu’il brise là même où Tchekhov répétait « je ne sais pas », nous voyons cette fracture devenir son encrier… Non, décidément, même un chien vivant ne vaudrait pas mieux ici que ce lion mort depuis 1938. Et l’on ne sait pourquoi.

 

 

Christian Mouze

 

 

 

Le lion Chestov 2.jpg

10:32 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (0)

24/08/2018

Penseur religieux et précurseur de l'existentialisme:

 

 

 

 

 

 

Kierkergaard 1.jpg

 

 

Søren Kierkegaard a conçu une philosophie du choix: 

 

 

 

 


« Je fus élevé sévèrement depuis l'enfance dans la considération que la vérité doit subir la souffrance, être outragée, insultée. » D'une austérité ainsi glaciale, la pensée de Søren Kierkegaard est aussi -paradoxalement- l'une de celles qui a accordé à l'expression des sentiments intérieurs la considération la plus haute. Philosophe religieux, c'est à une conception du christianisme comme via dolorosa, comme épreuve d'une vie pieuse jalonnée de sacrifices et de souffrances qu'il a consacré son existence. S'opposant fermement au luthéranisme d'État qui régnait alors au Danemark, Kierkegaard pose une exigence de la foi et de l'authenticité qui ne souffre aucun compromis avec le monde. Le christianisme kierkegaardien se veut sans médiation, sans institution, presque sans Église. Cette posture le conduira à décrire la vie intérieure comme une conscience tiraillée entre le doute, le péché et la perpétuelle dramaturgie du choisir. La foi se présente dès lors comme une voie royale pour explorer l'intériorité. Kierkegaard est ainsi devenu l'un des premiers grands philosophes de l'introspection individuelle. C'est d'ailleurs à cet aspect de son œuvre que Kierkegaard devra d'être reconnu par la postérité, faisant de lui le précurseur, avant l'heure, du courant existentialiste. Toujours en quête d'une vérité « pour moi », qui n'est pas celle des grands systèmes universels à l'instar de René Descartes ou Georg Hegel, mais celle pour qui il y va de « moi-même ». Pourtant, la conscience individuelle ainsi émancipée se heurte inévitablement au vertige de la liberté c'est-à-dire du choix. Face à l'angoisse d'exister dans un monde où l'expression d'un choix individuel est déterminante, l'homme kierkegaardien endure le désespoir comme un fardeau constitutif à sa condition d'humain. « Être soi » devient le défi existentiel par excellence, celui qui consiste à se tenir au seuil d'une infinité de possibilités et, dans un « saut » fondateur, à assumer jusqu'au bout tous les risques d'une décision.

 

 

Maisons closes et ivresse:

 

 


Le 5mai 1813, Søren Kierkegaard, petit dernier d'une famille de sept enfants, originaire d'un petit village de l'Ouest du Jutland, vient au monde. Âgé de 53 ans, son père est un homme taciturne et mélancolique. Sorën n'a que 6 ans quand une série de décès vient emporter tour à tour ses frères et sœurs. Seuls son frère aîné et lui survivent. Convaincu qu'une malédiction pèse sur la famille, le père veut assurer le salut éternel de son dernier-né, au cas où il devrait mourir lui aussi prématurément. L'éducation religieuse de Sorën sera alors hantée par l'image du Christ agonisant sur la croix. Profondément atteint et indigné par l'injustice du sort de Jésus, Sorën se forge alors une conception de l'humanité pécheresse et plus rien désormais -ni l'idée de la Résurrection ni celle de la Rédemption- ne viendra l'éloigner de sa fascination pour l'intransigeance sacrificielle de la foi. Toute sa vie, il cherchera à appréhender la souffrance comme l'épreuve fondamentale du chrétien, se considérant si ce n'est comme témoin de la vérité, martyre de son temps. Car Kierkegaard ne tardera pas à s'opposer au christianisme officiel du Danemark à qui il reproche un manque d'authenticité. Son christianisme à lui ne peut être l'objet de compromis avec la société. Il impose l'isolement et la solitude.

 

 


À 18 ans, Kierkegaard connaît ce qu'il a appelé « le tremblement ». Un soir, son père ivre lui aurait dévoilé un secret, la famille serait « maudite »  : voilà ce qui serait la cause de tous ces décès... Kierkegaard a vécu cette « révélation » comme un choc. En proie à de terribles crises d'angoisse, il fuit le foyer paternel. Commence alors pour lui une vie de débauché. Il fréquente les maisons closes, dilapide son argent à faire la fête et rentre ivre quasiment tous les soirs. Il découvre le Don Juan de Mozart et joue les dandys séducteurs. Ce changement radical de mode d'existence joue un rôle capital dans la pensée kierkegaardienne où déjà s'annonce sa théorie du « saut », à l'origine de celle des « stades de l'existence » (encadré p.56), et en l'occurrence, ici, celui du « stade esthétique ». Criblé de dettes et repentant, il revient un an plus tard le 8août 1838 chez son père juste avant son décès. « Mon père est mort (...). J'aurais tellement aimé qu'il eût vécu quelques années de plus, et je regarde sa mort comme l'ultime sacrifice de sa part à son amour pour moi. » Kierkegaard reprend alors à ses études  : en juillet1840, il obtient le certificat de théologie requis pour exercer comme pasteur. Lors d'un pèlerinage dans le village de son père, il rencontre Regine Olsen, une belle jeune fille de 17 ans dont il tombe éperdument amoureux. Les voilà bientôt fiancés. Cette rencontre marquera à jamais sa vie et son œuvre. Mais, après avoir entretenu une relation épistolaire passionnée, Kierkegaard se rétracte soudainement, juste avant le mariage. Il renvoie la bague de fiançailles à Régine accompagnée de ce mot  : « En Orient, l'envoi d'un cordon de soie signe pour le destinataire son arrêt de mort  ; ici, l'envoi d'un anneau signe l'arrêt de mort pour celui qui l'envoie. »

 

 


Tout le petit monde de l'aristocratie danoise, dont Kierkegaard fait partie, condamne son geste. Le jeune homme s'enfuit à Berlin pour éviter de subir le scandale. Mortifié par la rupture avec Regine qu'il aime pourtant profondément (« ce que j'ai perdu, c'est la seule chose que j'aimais »), il s'interroge sur le sens de son choix. Il en conclut qu'un pacte plus grand, « un pacte de larmes » le lie avec Dieu. Cet amour sacrifié sur l'autel de sa vocation religieuse a quelque chose d'amèrement ironique quand on sait que par la suite, Kierkegaard ne cessera de faire l'apologie du mariage comme l'emblème du « stade éthique » de la vie.

 

 

L'existence comme possibilité:

 

 


À Berlin, Kierkegaard va suivre les cours de Friedrich von Schelling et l'enthousiasme un temps avant de s'en détourner. Les Lumières allemandes (l'Aufklarüuml ;ng) affirmaient le pouvoir de la raison comme principe autonome et opposé à l'obscurantisme religieux. Mais le nouveau courant romantique, opposé aux Lumières, a vu le jour. Pour les romantiques, dont Johann Fichte est le principal représentant, la raison est infinie comme le sont la suite des nombres qui s'ajoutent les uns aux autres dans une suite logique. Considérer la raison comme infinie revient à faire du monde un mouvement rationnel qui avance d'une étape à une autre sous le joug de la nécessité de sorte qu'il devient possible de déduire l'étape qui va suivre de manière a priori, c'est-à-dire sans avoir recours à l'expérience. Pour Kierkegaard, cette façon d'envisager le monde comme un grand système qui engloberait tout dans une dynamique homogène nie l'individu et sa liberté. Un système ne pourra, dès lors, jamais rendre compte de l'expérience individuelle car elle exclut toute idée de contingence. Or, pour Kierkegaard, l'être humain est pure contingence. Contre l'effort des milieux intellectuels danois pour réconcilier le christianisme avec la spéculation hégélienne, qui prétendait fonder la foi en raison, Kierkegaard oppose l'impuissance fondamentale de la raison à élucider le mystère qui lie un individu à la révélation divine. Aucune explication objective ne peut s'aventurer, sans se compromettre, dans l'intimité d'une conscience.

 

 


Pierre angulaire de la pensée de Kierkegaard, le « possible » est à la base de l'existence humaine. Pour lui, l'homme ne se contente pas de vivre, c'est-à-dire de naître et de mourir, il existe c'est-à-dire que sa présence l'engage dans le monde. Dès lors, il n'est pas soumis à des contraintes naturelles qui le poussent à agir de telle ou telle façon. L'homme est pour lui une contingence pure qui a pour seule nécessité celle de devoir choisir constamment sa vie. Car exister, c'est choisir et cette liberté est la condition métaphysique de l'homme. Condamné à faire des choix, l'homme se singularise, presque malgré lui, et devient individu. Ce champ infini de possibles qui s'offre alors à lui n'a pourtant rien de bienheureux. Au contraire, il prend la forme d'un abîme sans fond  : un vertige métaphysique. Si rien ne m'oblige ni ne m'incite à choisir ceci plutôt que cela, comment choisir  ? Comment être sûr de ne pas se tromper  ? Derrière chaque choix, se cachent toujours la potentialité d'un bonheur et celle d'un malheur. Voilà comment l'expérience de la liberté devient paralysante plutôt qu'émancipatrice. Elle devient malaise, doute et tourment. Elle devient angoisse.

 

 


Dans Traité du désespoir (1849), Kierkegaard s'interroge sur le rapport qu'entretient l'individu avec lui-même lorsqu'il éprouve la difficulté de l'injonction à « être soi ». Être totalement libre  ? Se sentant incapable d'un tel engagement, l'homme se met à désespérer de lui-même, trop conscient du piège existentiel dans lequel il se trouve irrémédiablement. Pour Kierkegaard, s'extirper du désespoir ne peut jamais venir de nous-mêmes mais forcément d'une force extérieure. Ainsi en est-il de la foi en Dieu. Cependant, l'acte de foi n'a lui-même rien de serein. Il ne satisfait jamais les exigences intellectuelles, ne délivre aucune certitude. Il est précisément « choix » au sens le plus noble du terme. Celui qui implique de prendre et d'assumer les risques de l'existence à son compte. Au fond, il ne s'agit pas pour l'homme existentiel de choisir telle ou telle chose mais d'avoir le courage de « vouloir choisir », c'est-à-dire d'accepter une responsabilité. Pour le penseur, on décide quelque chose comme on saute dans le vide. Cette radicalité de la décision tranche dans les choix à la manière d'un couperet.

 

 

De l'esthétique à l'éthique:

 

 

 

Revenu à Copenhague, Kierkegaard publie Ou bien... ou bien (1843) sous un pseudonyme (comme toutes les œuvres philosophiques qu'il écrira ensuite) dont le succès ne se fera pas attendre. Dans cet ouvrage, il décrit l'alternative qui se pose entre un mode de vie esthétique et un mode de vie éthique  : « ou bien » celui de l'esthète « ou bien » celui de l'éthicien. La première partie de l'œuvre, consacrée à la vie esthétique est un composé de plusieurs écrits compactés en un seul. On y trouve notamment Le Journal d'un séducteur (1843), célèbre roman épistolaire où Johannes, sorte de Don Juan moderne, cherche à séduire la belle Cordélia avant de l'abandonner lorsque celle-ci tombe amoureuse... Ce scénario n'est pas sans rappeler la relation qui liait Kierkegaard à Regine, séduite et abandonnée à la veille du mariage. La seconde partie décrit le choix de « l'éthicien » qui a accepté une responsabilité envers lui-même.

 

 


Après ce livre, commence alors une période extrêmement prolixe où Kierkegaard, profitant d'une aisance matérielle, se consacre entièrement à son œuvre. Il révèle alors tous ses talents d'écrivain, dans une œuvre où se mêlent réflexions philosophiques, récits, poèmes et théologie. En six ans, il publie Crainte et tremblement (1843), La Répétition (1843), Miettes philosophiques (1844), Du concept d'angoisse (1844), Étapes sur le chemin de la vie (1845)... tout en continuant à tenir scrupuleusement son journal. Ayant accédé à la célébrité, (il est reconnu par les badauds dans les rues de la capitale), il sera aussi la risée de Copenhague, suite à la publication d'un numéro du Corsaire, journal satirique très en vogue qui le tourne en ridicule. Un jour, il apprend le mariage de Regine avec Fritz Schlegel, ruinant son espoir caché qu'elle lui reste fidèle en pensée  ! Ses multiples tentatives de la revoir, avant qu'elle suive son époux aux Antilles, se soldent par de froids adieux échangés sur une place publique, où il ne parviendra finalement pas à prononcer le moindre mot. Quelque mois plus tard, Kierkegaard tombe gravement malade  : replié sur lui-même, il refuse alors toute visite, même celle de l'évêque venu lui proposer une ultime réconciliation avec l'Église. À 42 ans, Kierkegaard s'éteint, seul et ruiné. Sur son lit de mort, Regine, « écharde dans la chair », le hante toujours  : « Elle a été l'aimée. Mon existence sera l'exaltation absolue de la sienne, mon activité littéraire pourra aussi être considérée comme un monument à sa gloire et à sa louange. Je l'emporte avec moi dans l'histoire. »

 

 

L'angoisse, un concept clé:
 

Concept clé dans la pensée existentialiste, l’angoisse a été introduite en philosophie par Søren Kierkegaard pour désigner ce que ressent l’homme lorsqu’il prend conscience de sa situation dans le monde. Pour Kierkegaard, jamais l’homme n’aura accès à la vérité absolue, à la transcendance pure. Il ne peut ainsi jamais être assuré de quoi que ce soit. Il est condamné à choisir sans jamais obtenir la certitude que son choix est le bon. La foi est alors le seul recours. Elle est une certitude subjective de la vérité. Il s’agit de savoir ce qui est vrai non pas en soi mais pour soi. Dans Le Concept de l’angoisse, publié en 1844, sous le pseudonyme Vigilius Haufniensis, le penseur présente l’angoisse comme un sentiment qui, contrairement à la peur, n’a pas d’objet déterminé. L’angoisse réside en réalité dans le rapport qu’entretien l’homme avec la nécessité de choisir entre une multitude de possibilités, propres à sa condition. L’angoisse est l’expérience de la liberté vécue comme un vertige. C’est pourquoi il est bien plus pertinent d’étudier ce sentiment, non pas philosophiquement, c’est-à-dire comme un concept, mais psychologiquement, comme un sentiment.

 

 

Le père de l'existentialisme ?
 
 

Longtemps tenu à l’écart de la philosophie, l’œuvre de Søren Kierkegaard a connu une véritable renaissance avec l’essor du courant existentialiste après la Seconde Guerre mondiale. En opposition farouche aux grandes spéculations métaphysiques, Kierkegaard cherche à penser l’être humain dans son existence concrète, c’est-à-dire dans son expérience personnelle. Qu’est-ce donc qu’exister pour un être humain ? Telle est la question kierkegaardienne par excellence que reprendra à son compte Jean-Paul Sartre pour qui la question clé de la philosophie est celle de l’engagement et de la responsabilité face à la liberté. ?

 

 

Martin Heidegger avait mentionné Kierkegaard plusieurs fois dans Être et Temps (1927) mais il le fait uniquement pour l’opposer à Georg Hegel et lui reprocher son absence de rigueur. Cependant, de nombreux concepts semblent témoigner de la parenté de pensée qui lie les deux penseurs : l’angoisse, idée largement développée dans Être et Temps ou « le saut » que Heidegger évoque dans son cours « Le principe de raison de Leibniz ». Emmanuel Levinas écrira même qu’« il est possible que derrière chaque phrase de Heidegger, il y ait du Kierkegaard ». ?

 

 

Kierkegaard a influencé aussi Karl Jaspers à travers sa conception de l’existence individuelle, conçue comme unique, face au dilemme de la vie en commun : si chaque individu est singulier, comment les individus peuvent communiquer entre eux ? Si la vérité est intimement liée à ma seule personne, puis-je la mettre en parole sans l’altérer ? 

 

 

Gabriel Marcel, représentant de « l’existentialisme chrétien », reprendra du philosophe danois le concept « d’alternative ». Quand à Emmanuel Mounier, figure du catholicisme social, il ira jusqu’à émettre l’espoir de « réconcilier Kierkegaard et Marx ».

 

 

L'esthète, le chic type et le croyant
 
 

Dans Étapes sur le chemin de la vie (1845), Søren Kierkegaard présente trois profils d’existence. Aucune n’est compatible avec les autres de telle sorte qu’aucune synthèse n’est possible .

 

 

Le stade esthétique?

 

Incarné par Johannes, personnage masculin du Journal d’un séducteur (1843), le stade esthétique est dominé par la figure du séducteur. Celui-ci, obsédé par la recherche du plaisir, ne veut vivre que dans l’instant. Il correspond au mode de vie du Don Juan qui après avoir séduit une femme en désire immédiatement une autre. Pour Søren Kierkegaard, « l’esthète » est un Narcisse qui veut à tout prix se différencier, car il veut tout et maintenant. Il reste suspendu au-dessus d'une multitude de possibilités et renonce à choisir. Renonçant à s’engager durablement, il revendique sa subjectivité, son indécision, qui est aussi une forme de liberté absolue.?

 

 

Ce portrait de l’esthète en libertaire hédoniste, on pourrait le retrouver à d’autres époques de l’histoire. À Athènes par exemple avec Calliclès, qui prône la jouissance immédiate des plaisirs. À l’époque contemporaine, on pourrait retrouver le portrait de l’esthète au cinéma, James Dean dans La Fureur de vivre (1955), ou dans le roman (par exemple American Psycho, 1991). Le stade esthétique fait songer à toutes ces formes contemporaines de plaisir débridé dont, par exemple, Ibiza ou le credo du « jouir sans entraves ». Selon Kierkegaard, la désinvolture de l'esthète s’accompagne d’une attitude ironique face à l’existence.?

 

 

L’ironie – sujet auquel Kierkegaard consacre sa thèse de doctorat – consiste à refuser le sérieux de l'existence. Mais cette attitude a quelque chose de tragique et désabusé. L’esthète est un désabusé et son ironie est une façon d’exprimer le décalage entre nos idéaux et la réalité, toujours décevante. La recherche de la jouissance a quelque chose de désespéré. Voilà pourquoi le mode de vie « esthétique » ne peut finalement satisfaire. Il n’est au fond qu’une fuite en avant ne débouchant sur rien. Les plaisirs se succèdent et se ressemblent. Un sentiment de répétition inutile s’empare alors de l’esthète et le conduit à la « mélancolie » (que l’on appellerait aujourd’hui la dépression). Pour Kierkegaard, il faudra bien un jour mettre un terme à cette forme de vie qui ne mène a rien. Et pour lui, cet abandon ne se fera ni par changement progressif, ni par un simple dépassement à la manière d'une dialectique. Il s’agit de réaliser un véritable « saut », c’est-à-dire prendre une décision ferme et radicale.?

 

 

Le stade éthique?

 

Alors que l’esthète ne veut renoncer à rien et veut jouir de tout, l’éthicien lui, veut « fixer » sa vie. Au stade éthique, l’individu devient adulte. Il a fait le choix de l’engagement et de la fidélité. Il a compris que le jouisseur, qui se croit libre en cherchant à satisfaire ses seuls désirs immédiats, se soumet en fait passivement à eux : il devient un esclave. Le « stade éthique », correspond à une renonciation à une vie d’exception pour choisir une vie plus humble et ordinaire. L’« éthicien » de Kierkegaard correspond à la vie rangée des « gens biens », du bon père de famille, du bon mari, de la bonne épouse, du bon citoyen… Autant le séducteur du stade esthétique se révèle égoïste et narcissique, autant la personne au stade éthique privilégie le sens du devoir. Cette morale du « chic type » vénère la fidélité (à son compagnon ou sa compagne), la loyauté (envers son pays, son entreprise, son clan). Son rapport au temps, à l’argent diffère fondamentalement du « flambeur » qu’est l’esthète. L’un est cigale, l’autre fourmi. L’un dépense sans compter, l’autre l’épargne. L’un vit au jour le jour, l’autre songe à l’avenir et construit patiemment ses projets et plans de carrière. ?

 

En s’engageant dans l’existence concrète, l’éthicien se plie aux règles sociales et accepte de composer avec elles. Le mariage incarne pour Kierkegaard le symbole de cette vie éthique. En se mariant, l’éthicien officialise sa promesse de fidélité à l’autre en lui donnant une dimension civile. Ce n’est pas pour autant une renonciation à tout romantisme et à toute notion de plaisir. Mais le celui-ci doit rester dans les normes et la maîtrise de soi. Kierkegaard insiste sur le fait que ce choix de vie n’est nullement une forme de soumission : car respecter des règles de vie est aussi un choix de vie qui échappe à l’automatisme du devoir. L’esthète croyait trouver sa liberté dans le désir, et tombait vite dans l’esclavage. L’éthicien, lui, semble se soumettre aux conventions : en fait il fait triompher sa liberté en s’engageant de lui-même dans une vie quotidienne moins glorieuse mais dirigée par les règles qu’il s’est définies lui-même. Celui qui a renoncé à son statut d’homme exceptionnel – en se mariant, en assumant peut-être une famille, des responsabilités sociales – se révèle finalement le plus extraordinaire des deux. ?

 

 

Le stade religieux?

 

Après avoir épuisé lui-même les illusions du stade esthétique, comme Le Journal du séducteur en témoigne, Kierkegaard aurait voulu réaliser le « stade éthique ». Il n’y est pas parvenu. Il ne s’est pas marié, n’a jamais su avoir un rapport aux autres serein, ni même assumer une position sociale stable et assurée. Il est mort seul et ruiné. C’est que Kierkegaard est convaincu de porter en lui un rapport à Dieu qui l’empêche d’appartenir tout à fait à la société. Le « stade religieux » est pour Kierkegaard, le troisième mode d’engagement de l’existence humain. Il ne s’agit plus de se vouer à soi (stade esthétique), aux autres (stade éthique), mais se consacrer tout entier à une transcendance. Cette relation au divin condamne tout compromis avec la société. Rompre ses fiançailles avec Régine n’a pas eu d’autre sens. Ce sacrifice au nom de la foi est « l’expression de l’abandon le plus absolu ». Entrer en relation avec l’absolu implique forcément une rupture avec les autres. Aujourd’hui, le mysticisme ou le fondamentalisme religieux qui impose le sacrifice de soi représenteraient cette forme d’engagement absolu. Par extension, cette ascèse mystique peut se transposer à tous ceux qui décident de s’engager de façon absolue, dans n’importe quel type de transcendance : idéal scientifique, philosophique, artistique, sportif au détriment de son plaisir immédiat ou des contraintes de son milieu.

 

Louisa Yousfi

 

Kierkergaard 2.jpg

 

 

10:07 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (0)