03/05/2013
Le livre de Job et l'expérience spirituelle(3)
2. Apport du livre de Job à la théologie spirituelle.
Nous ressaisirons !e message spirituel du livre de Job successivement à six niveaux :
1° dans !e prologue narratif; 2° dans les réponses que Job oppose aux thèses des trois amis; 3° dans les passages hymniques des discours; 4° dans les plaintes de Job; 5° dans !es passages où affleure son espérance; 6° dans la théophanie, sommet théologique de toute l'œuvre.
1° La foi de Job (dans le récit-cadre, Prologue: 1,1 à 2,10).
1) Au malheur qui vient de le frapper à deux reprises, Job répond par un double acte de foi: "Nu je suis sorti du sein de ma mère et nu j'y retournerai! Yahvé a donné et Yahvé a repris, que le Nom de Yahvé soit béni!" (1, 21); "Si d'Elohim nous acceptons le bien, n'accepterons-nous pas aussi le malheur?" (2, 10). L'épreuve se termine donc par !a victoire de Job. Rien n'a pu entamer sa fidélité. Il a vu disparaître coup sur coup tout ce qui faisait sa sécurité, sa fierté et son bonheur. Pauvre, seul, rongé par son ulcère, "il s'attache encore à son intégrité". Le champion de Dieu n'a pas failli, et le défi lancé par le Satan se retourne finalement contre celui-ci : un homme au moins a su aimer Dieu "gratuitement" (1, 9).
2) Dépouillé brutalement de son passé et de toute assurance pour l'avenir, Job mesure à la fois la grandeur de sa liberté et les limites de son destin d'homme. Dans l'espace ouvert à son autonomie, il rencon-tre la liberté de Dieu et lui répond librement par un prosternement inconditionnel.
Il ignore que son destin a fait l'objet d'un prologue dans le ciel et que sa vie de croyant est le champ clos où l'Adversaire a voulu défier Dieu. Le Satan qui "rôde" dans la création s'est fait fort d'amener l'homme à douter de Dieu et Dieu à douter de l'homme. Or, Dieu a pris le pari très au sérieux; il a délégué au Satan une part de sa puissance et a remis à l'homme le soin de défendre son honneur. L'épreuve permise par Dieu devient ainsi une marque suprême de sa confiance; mais Job ne le sait pas, et il n'a, pour éclairer son drame, que les certitudes de sa foi. Ce qui s'est dit au ciel n'interfère pas avec ce qu'il vit sur terre, et son option reste tragiquement libre, pour l'assentiment comme pour la révolte. "Serviteur" de Yahvé (1, 8; 2, 3), il accueille tout de sa main sans pouvoir ni vouloir déchiffrer le mystère de son dessein, et par sa soumission il rejoint d'emblée le sens que Dieu entend donner à la bravade insensée de l'Adversaire. Au moment même où le Satan, par la souffrance d'un juste, semble contester la gloire de Yahvé, Job bénit son Nom.
3) Job ne cherche pas en lui-même la force de traverser son épreuve, et son attitude, à la fois héroïque et magnifiquement équilibrée, face au bonheur et au malheur tangibles, traduit beaucoup plus l'adoration que l'énergie stoïcienne. Soucieux uniquement de coïncider avec le projet de Dieu, il ne veut voir dans l'alternance des bienfaits et des épreuves, du don et de l'abandon, que le signe de la transcendance et de la liberté de Dieu à l'œuvre dans sa vie.
4) Ainsi, frustré de tout son avoir, l'homme peut répondre à Dieu avec le meilleur de son être et son témoignage de fidélité n'offre alors plus aucune prise au soupçon. Aucune visée d'intérêt ne vient fausser son option pour Dieu et sa vérité. Sa relation à Dieu, enracinée au plus profond de sa personne, s'exprime en un acte de foi nue. Nu il est sorti du sein de sa mère pour une vie de risque où la richesse n'est qu'un manteau; nu il retournera au sein de la terre mère, et tout le cours de son existence se déploie devant Dieu sous le signe de la nudité et de la faiblesse. Mais cette faiblesse devient, dans la foi, ouverture à la puissance de Dieu, et si le Satan s'acharne à dépouiller un croyant de tous ses biens, de tout appui et de toute assurance, il sert, sans le savoir, le dessein de Dieu qui, par cette pédagogie de l'épreuve, affine et enrichit l'expérience théologale de son fidèle.
2° Les réponses de Job aux trois amis
1) D'après le récit-cadre, Job, témoin de Dieu, lit immédiatement dans sa destinée souffrante une volonté expresse de Yahvé. Pas un instant la révolte ne l'effleure. Aucune plainte, aucune aigreur, pas même une question. Sa réponse de foi n'enlève rien au tragique de sa situation, et il ne sait si Dieu, touché de sa foi, mettra fin à son épreuve, mais il affirme que l'énigme de sa souffrance se résoudra en Dieu et en lui seul. Réponse admirable, trop grande sans doute pour paraître vraisemblable: le temps n'a pu faire son œuvre, et cette épreuve sans durée, tombant sur un être si peu faillible, semble manquer d'une certaine épaisseur humaine. L'auteur des dialogues l'a compris: son Job va devenir véhément et désormais la tension théologique ne va cesser de croître.
2) On ne peut comprendre la révolte et les invectives de Job si l'on n'a précisé au préalable les grands axes de la doctrine que les trois sages disent tenir de la tradition. Leurs convictions reposent sur deux principes : a) la rétribution par Dieu intervient toujours avant la mort; b) une loi infaillible proportionne aux actes de l'homme leur récompense ou leur sanction.
Job lui aussi s'estime en droit d'attendre le bonheur puisqu'il s'est toujours efforcé de vivre en juste (29,18-20; 30,26), mais c'est le seul point où il rejoigne la problématique traditionnelle. Aux yeux des amis, pour retrouver la paix et la joie perdues, il n'est qu'un moyen, mais efficace à tout coup: revenir à Dieu (11, 4-6; 22, 4-9). Ce à quoi Job rétorque qu'il n'a jamais renié Dieu ni mérité ces souffrances qu'on lui présente comme un châtiment. Pour lui, le nœud du problème n'est pas d'accepter ou de refuser une conversion, mais d'apprendre de Dieu lui-même ce qu'il lui reproche. Or Dieu se tait, laissant Job se débattre seul contre ses doutes et contre les interprétations tendancieuse de ses amis.
Plus encore que sa souffrance, ce qui révolte Job, c'est ce silence de Dieu, aussi lourd qu'une accusation et qui semble désavouer toute une existence de fidélité. Si ce passé, vécu pourtant devant Dieu et avec Dieu, n'a plus de sens, que pourrait être le présent, sinon le temps de la déréliction? Méconnu par ses amis et apparemment rejeté par Éloah, Job ne sait plus ni quel est son visage, ni quel est le vrai visage du Dieu qu'il a servi.
3) Pour les trois visiteurs l'épreuve de Dieu n'est qu'un cas, parmi bien d'autres, qui illustre leur conception automatique de la rétribution. Il n'y a pas de mystère: si Job souffre, c'est qu'auparavant il a péché. En cherchant à se disculper, il ne fait que se leurrer davantage et aggraver sa faute; car la théorie ne doit offrir aucune faille ni admettre la moindre exception, et même les évidences de la conscience de Job ne sauraient prévaloir contre la cohérence du système. Le malheur ne peut être qu'une correction, et la question gênante de la souffrance doit continuer de se poser dans les termes habituels, à un niveau où l'homme puisse s'en rendre maître. Job aura beau redire que toute sa vie s'inscrit en faux contre ces assurances trop faciles, il aura beau crier à l'injustice, l'amitié passera après les certitudes et jusqu'au bout les trois sages se raidiront dans leur aveuglement.
4) Les visiteurs développent surtout trois thèmes: a) le malheur des méchants, décrit au moyen d'images de fragilité, d'insécurité, d'arrachement ou de désespoir (cycle I des discours: 4, 7-11; 5, 2-7; 8, 8-19; 11, 20; cycle II : 15, 17-35; 18, 5-21; 20, 4-29; cycle III : 22, 15-18; 27, 13-23; 24, 18-24); b) le bonheur assuré immanquablement aux justes par la conversion, l'humilité, la stabilité dans la foi et la recherche persévérante de Dieu dans la prière (cycle I : 5, 17-26; 8, 5-7.21-22; 11, 13-19; cycle III : 22, 21-30). Le juste peut rester serein: sa vertu l'immunise contre le malheur. Il a un pacte avec les pierres des champs, et la bête sauvage est en paix avec lui. Nombreuse est sa postérité et ses rejetons sont comme l'herbe de la terre. Il arrive en pleine vieillesse au tombeau, comme s'élève une meule en son temps (5, 23-26); c) l'impossibilité pour l'homme d'être pur devant Dieu. Si Éloah impute à ses anges de la folie, combien plus aux habitants de maisons d'argile! (4, 17-21). L'homme boit l'iniquité comme l'eau (15, 14-16). "Si les étoiles ne sont pas pures aux yeux de El, combien moins un homme, cette vermine, et un fils d'homme, ce vermisseau!" (25, 4-6).
5) Dans ses réponses, Job évoque parfois les limites de l'homme (7, 17; 9, 2 ss; 13,28 à 14, 22); mais tandis que les trois sages mettent à profit ce thème de l'indignité foncière des humains pour étayer leur théorie et réduire Job au silence, celui-ci ne voit dans ses limites de créature qu'un appel à la miséricorde de Dieu. Le thème de la finitude de l'homme retrouve ainsi chez Job sa fonction habituelle dans l'Ancien Testament, qui est d'amener une louange au Dieu provident ou une prière de demande, pleine d'humilité et d'abandon.
Job s'attache surtout à réfuter la thèse classique du châtiment des méchants, démentie aussi bien par l'expérience commune (12, 6; 21, 27-34) que par son destin personnel (9, 22-24; 12, 2-3; 13, 1-2; 21; 23,15 à 24,17; 31, 2-3). Puisqu'il est atteint par l'épreuve, lui "dont le pied s'est toujours attaché au pas de Dieu" (23, 11), il est donc faux que la vertu achète le bonheur. L'infortune peut être imméritée, et dans ce cas elle n'a pas d'autre responsable que Dieu :" Si ce n'est lui, qui est-ce donc? " (9, 24). La souffrance devient alors totalement absurde, et cette absurdité rejaillit sur Dieu lui-même, dont Job ne parvient plus à reconnaître les traits. Toutefois, paradoxalement, Job continue de croire que Dieu, et lui seul, peut donner sens à la vie et à la mort. Le juste souffrant n'aura même pas le refuge intellectuel de l'athéisme; il lui faut chercher Dieu malgré Dieu.
6) Au lieu de se placer aux côtés de Job, et avec lui devant Dieu, les trois "amis" s'arrogent sans vergogne le rôle d'avocats du Tout-Puissant. S'imaginant très près de lui, c'est de ce lieu privilégié qu'ils interpellent Job. Réflexe d'hommes faibles, qui prennent peur devant l'aventure spirituelle et reculent devant les exigences de l'amitié. Aucune intercession pour l'ami désespéré, et même aucun vrai dialogue avec lui au niveau de son épreuve. Job affronte seul la nuit de son espérance, appelant et redoutant à la fois une rencontre décisive avec Shadday. Il admet que ses limites de créature et sa caducité de "rejeton de la femme" (yelud ’issāh) le rendent indigne de Dieu; mais à ses yeux sa finitude n'est pas culpabilité et il écarte énergiquement toutes les accusations des visiteurs. Conscient d'avoir gardé sa "justice" (sa juste relation à Dieu, çedāqāh ), il est décidé, "sa chair entre les dents" (13, 14), à revendiquer son innocence, même au prix de sa vie. Mais peut-on avoir raison (çādaq min) contre Dieu? Faut-il vraiment, pour être fidèle à Dieu, renier la fidélité à soi-même? Tout le drame de Job se noue autour de cette impossible justice.
3° Les passages hymniques du livre de Job.
1) Conformément à la tradition psalmique d'Israël, les passages hymniques des discours font alterner les deux thèmes jumelés de la création et de l'histoire (pour les trois amis: 5, 9-18; 11, 7-11; 22, 12.29-30; 26, 5-14; pour Job, uniquement dans le cycle I : 7, 12, 17.20; 9, 4.13 et 10, 8-12; 12, 7-10.11-25). Bien que le souvenir des événements fondateurs d'Israël n'entre jamais ici en ligne de compte, puisque l'histoire dont parlent ces textes est l'existence quotidienne de l'homme anonyme, la spiritualité jobienne n'en est pas moins imprégnée des thèmes théologiques familiers au peuple de l'alliance (voir surtout 10, 8-12).
2) La majesté de Dieu, quand elle se révèle, crée toujours l'étonnement. Job et les trois amis soulignent tous cette constante. Éloah restera toujours le ToutAutre, et jamais aucun homme ne percera le mystère intime (hēqer) de sa force et de sa providence : "Trouveras-tu le mystère d'Éloah? Et jusqu'à la "limite" de Shadday parviendras-tu? Elle est plus haute que les cieux: que feras-tu? Plus profonde que sheōl: que sauras-tu? Plus longue que la terre est sa dimension, et plus large que la mer!" (11, 7-9). À celui qui transcende toute imagination spatiale, on ne peut assigner une place à l'intérieur des limites du cosmos: Éloah se situe toujours " ailleurs" et il garde la liberté d'aborder l'homme par des chemins connus de lui seul.
Les amis mettent en relief surtout les renversements de situation opérés par ce Dieu aux réactions imprévisibles. Pour Job, les paradoxes de l'action divine posent une question beaucoup plus grave : c'est par un véritable renversement des valeurs que Dieu constamment déroute l'homme et lui enlève toute sécurité. Dés lors, où trouver Dieu, si sa puissance échappe aux normes du droit qu'il a lui-même fondé?
3) Hymniques par leur forme littéraire, les doxologies des amis ne le sont plus vraiment par la fonction qu'elles remplissent dans les discours. Un souci moralisateur et même parfois franchement polémique y prend le pas sur la louange, tendance que l'on relève plutôt rarement dans les hymnes les plus typiques du psautier. Job, lui aussi, gauchit ses doxologies, mais c'est pour les mettre au service de sa plainte. Sous le vêtement des images hymniques, ses griefs se chargent d'une ironie plus mordante et la force (gebūrāh) de Dieu contraste encore plus nettement avec son amour (hesed). Ces doxologies étrangement provocantes demeurent toutefois des prières, car Job continue d'y exprimer à Dieu son désarroi, et son amertume n'est que le langage de sa confiance blessée.
4) Aux yeux de Job, en effet, c'est Éloah qui, sans raison, a changé d'attitude. Dieu "s'est ravisé" (10, 8) et brusquement est passé à l'attaque. Pour les amis, les péchés de Job justifient ce revirement; mais Job, qui n'a conscience d'aucune faute, se sent l'objet d'une colère incompréhensible de Dieu. On le proclame coupable, il se pose en victime. Deux thèses sont ainsi en présence, qui veulent rendre raison de la souffrance; l'une accuse Job, l'autre accuse Dieu, mais toutes deux enferment Job dans sa solitude et exacerbent sa détresse.
5) De propos délibéré, Job, dans ses doxologies, retient quasi uniquement les thèmes qui exaltent la puissance d'Éloah. L'amour fidèle de Dieu n'appartient plus qu'au passé et le temps du dialogue semble à jamais révolu. Pourtant Job continue d'affirmer ce que sa foi dit de la majesté de Dieu, comme si les frustrations répétées, loin d'effacer en lui les souvenirs de l'amitié d'autrefois, n'avaient fait que creuser un nouvel espace pour son désir de Dieu.
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26/04/2013
Le livre de Job et l'expérience spirituelle(2)
2° Les dialogues poétiques
Dans l'œuvre poétique du Ve siècle, deux monologues de Job (ch. 3 et 29-31) encadrent les dialogues de Job et de ses trois visiteurs (4-27). Par trois fois Éliphaz, Bildad et Sophar prennent la parole, toujours dans le même ordre, et chacun reçoit une réponse de Job, ce qui donne trois cycles de discours : I = 4-14; II = 15-21; III = 22-27. Les deux premiers cycles sont régulièrement construits, mais le troisième pose de délicats problèmes de critique littéraire, car apparemment aucune place n'est réservée à Sophar. Depuis P. Volz (1921), beaucoup d'auteurs ont renoncé à reconstruire ce troisième cycle. Certains ne gardent qu'un discours d'Éliphaz (ch.22) et volontiers discernent dans les ch. 23-27 soit des pièces rapportées (Fr. Buhl, F. Baumgärtel, G. Hölscher, E. G. Kraeling), soit des matériaux à rattacher au premier cycle (P. Volz, M. Simon, C. Westermann) ou éventuellement au monologue des ch. 29-31. En 1949, A. Lefèvre a proposé une reconstruction du troisième cycle avec, comme seuls interlocuteurs, Job, Éliphaz et Bildad. La solution la plus naturelle consiste, semble-t-il, à restaurer autant que possible le cycle complet, avec participation de Sophar (G. B. Gray, É. Dhorme, G. Fohrer). On peut, par exemple, proposer la structure suivante : Éliphaz : 22; Job : 23 + 24, 1-17; Bildad: 25 + 26,5-14; Job : 26,1-4 + 27,2-12; Sophar : 27,13-23 + 24,18-25, la dernière réponse de Job étant constituée par le monologue des ch. 29-31. Voir J. Lévêque, op. cit., p. 213-229.
Le récit-cadre, dans lequel l'auteur du Ve siècle a inséré ses dialogues, contenait très probablement déjà des paroles de Yahvé à Job. Elles sont en effet présupposées par le verset 42,7 de l'épilogue. Mais le poète les a développées librement en deux discours très amples, ponctués par deux courtes réponses de Job:
Premier discours de Yahvé : 38,1 – 40,2.
Réponse de Job: 40,3-5.
Deuxième discours de Yahvé (Behémot et Liwyatan): 40,6 – 41,26.
Réponse de Job: 42,1-6.
3° Les discours d'Élihu
La théophanie, avec les dialogues de Yahvé et de Job (38, 1 à 42, 6), devrait normalement faire suite au long monologue du héros (29-31) qui se termine sur un appel véhément à Dieu: "Qui me donnera quelqu'un qui m'écoute? Voici ma signature! Que Shadday me réponde" (31, 35-37). Dans l'état actuel du livre, dialogues et théophanie sont séparés par les discours d'un quatrième sage, Élihu (32-37). Ces discours d'Élihu ont été rédigés sur la base des dialogues, et dans une langue un peu plus imprégnée d'aramaïsmes. Comme ils reflètent certaines préoccupations théologiques du livre de Malachie (cf. Ml 2,17; 3,14-16), ils ont dû être ajoutés vers 450, soit par un rédacteur, soit même par le poète principal.
On peut y distinguer une introduction (32, 6-22) à trois thèmes : "je veux parler" (v. 6-10), "je peux parler" (11-14), "je dois parler" (15-22); puis quatre discours : 33; 34; 35; 36,1 - 37, 13; enfin une conclusion : 37, 14-24. Les trois premiers discours sont bâtis sur un schéma identique, mis l'auteur garde une grande liberté (cf. J. Lévêque, op. cit., p. 541-542). Quant au quatrième discours, il se déploie quasi uniquement dans le style de l'hymne. Élihu y décrit d'abord l'action de Dieu dans l'histoire personnelle des justes et des impies (36, 5-23), puis la puissance de Dieu à l'œuvre dans la création (36,24 - 37, 13). Dieu dans la création, Dieu dans l'existence de l'homme : le jumelage de ces deux thèmes était devenu en Israël un réflexe théologique.
4° le poème sur la Sagesse inaccessible (ch. 28)
Les commentateurs qui attribuent le ch.28 à l'auteur des dialogues sont de nos jours la minorité, mais le débat n'est pas clos. C.Westermann (Der Aufbau des Buches Hiob, p.107) et R. Tournay ("L'ordre primitif des ch.24-28 du livre de Job", dans Revue biblique, t. 64, 1957, p. 331) réclament encore pour l'auteur principal la paternité du ch.28. À l'opposé, O. Eissfeldt, G. Fohrer voient, avec raison, dans ce poème une addition provenant d'un contexte tout autre, quant au fond et quant à la forme:
"Certes, i! a été souvent question de la sagesse dans le dialogue : les amis !'ont revendiquée pour eux-mêmes et l'ont déniée à Job; celui-ci s'est moqué d'eux à ce sujet, sans toutefois contester la science de Dieu. Mais dans tous ces contextes, tout comme dans les discours d'Élihu, il s'agit d'une autre sorte de sagesse que dans le chant de Job 28. De plus, les développements sur la sagesse inaccessible à l'homme rendent proprement superflus les arguments du discours de Dieu; et inversement le ton ironique de ce discours devient incompréhensible après la modestie volontaire, sage et résignée, du Chant. Enfin, le style réflexif du Chant contraste absolument avec les autres discours du poème de Job (G. Fohrer Das Buch Hiob, p. 42).
Il reste qu'en insérant le poème sur la Sagesse à sa place actuelle le rédacteur anonyme (du 3e siècle?) a fait preuve d'un goût très sûr. Sans doute a-t-il voulu conclure les entretiens de Job et de ses visiteurs (4-27) en proposant à son tour une thèse radicale, qui réfute définitivement la théologie trop courte des amis et dénie aux thèses classiques des sages toute valeur d'explication de la souffrance humaine : l'homme ne connaît pas le chemin de la Sagesse et celle-ci ne se trouve pas sur la terre des vivants (28, 12-13.20-21). Le poème de Job 28 jette ainsi un pont entre les dialogues (4-27) et le monologue (29-31) où Job, après avoir protesté de son innocence, lancera à Dieu son ultime défi (31, 35 ss). Mieux encore, le poème fait pressentir la grande leçon que Dieu donnera à Job lorsqu'il lui apparaîtra dans l'orage. Ce chapitre 28 ouvre donc la porte à une solution vraiment théologique où Dieu et !'homme, l'Absolu et le créé, trouveront leur vraie place tout en gardant leur mystère.
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19/04/2013
Le livre de Job et l'expérience spirituelle(1)
Le thème du livre de Job se situe d'emblée au cœur de la théologie spirituelle. En effet, le destin typique de Job et les divers dialogues qui l'interprètent mettent en question directement la foi et l'espérance du juste aux prises avec une souffrance imméritée. Toute lecture théologique de Job débouche sur des problèmes majeurs auxquels le croyant, tôt on tard, se trouve confronté: le mystère du mal et de la souffrance, la rencontre de Dieu jusque dans l'échec apparent de toute réussite humaine, le rapport de la fidélité de l'homme avec la justice de Dieu, les difficultés du dialogue avec l'humanité souffrante et enfin le sens de la vie ellemême dès lors qu'elle doit intégrer la perspective de la mort.
Comme l'histoire du livre de Job conditionne étroitement son interprétation, nous ferons rapidement le point des connaissances actuelles sur la composition du livre avant de dégager les lignes de force théolo-giques du poème.
1.Histoire littéraire.
On s'accorde de plus en plus à distinguer dans le livre de Job quatre ensembles d'époque différente : le cadre narratif, presque entièrement en prose, qui comprend le prologue (1,1 à 2,10) et l'épilogue (2, 11-13; 42, 7-17); les dialogues de Job et des trois visiteurs (3-27; 29-31) et le discours de Yahvé avec la réponse de Job (38,1 à 42, 6) ; les discours d'Élihu, le quatrième "ami" (32-37); le poème sur la Sagesse (28).
1° le cadre narratif
À partir du prologue et de l'épilogue actuels on peut, sans trop de difficulté, recomposer le conte populaire qui a servi de base à toute l'œuvre. Les péripéties du drame biblique de Job ne se retrouvent telles quelles dans aucun texte du Proche-Orient ancien, ni en Égypte, ni en Mésopotamie où cependant le thème du juste souffrant était exploité dès la fin de l'époque sumérienne, environ deux mille ans avant J. C.
[textes dans H.H.Schmid, Wesen und Geschichte der Weisheit, Berlin, 1966, p. 173-239; J. Lévêque, Job et son Dieu, Paris, 1970, p. 13-93].
Mais la légende de Job semble être née hors d'Israël, soit en Édom, soit, plus probablement, dans la région du Hauran, en Transjordanie. Une divinité, lors d'un conseil céleste, décidait de mettre Job à l'épreuve. Job, atteint dans ses biens puis dans son propre corps, était tenté successivement par sa femme et par ses parents ou connaissances, qui lui suggéraient de rompre avec son dieu tutélaire. Resté fidèle jusqu'au bout, Job recevait l'approbation solennelle de son dieu et recouvrait ses richesses.
Ce conte populaire fut acclimaté très tôt en Israël, peut-être même dès l'époque où se sont formés les récits les plus anciens du Pentateuque (10e-9e siècles), et, vers 600, Ézéchiel pouvait faire allusion à Job comme à un héros bien connu (14, 12-23). Une mutation importante intervint dans la légende lorsque, après l'exil, on y introduisit le personnage de Satan (cf. G. Fohrer, Überlieferung und Wandlung der Hioblegende, dans Studien.., p. 44 -67). Enfin, probablement vers le milieu du Ve siècle, un auteur israélite de génie ressaisit le vieux récit populaire pour y insuffler une nouvelle théologie. Il écarta, comme les deux pans d'un rideau, les deux parties du conte primitif et, dans l'espace ainsi ouvert, entreprit de faire dialoguer Job d'abord avec trois visiteurs, puis avec Dieu lui-même. L'économie du récit fut dès lors assez profondément bouleversée: la visite des parents et connaissances, qui, primitivement, avait lieu au moment le plus intense des malheurs de Job, devint une visite de félicitations après le triomphe de sa foi (42, 11), et la restauration du bonheur de Job pourrait paraître maintenant une conclusion bien matérielle après l'espérance très dépouillée dont Job fait preuve dans les dialogues. Le poète du Ve siècle, manifestement, a voulu respecter au maximum la tradition qu'il empruntait.
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12/04/2013
Le canon des Écritures
"Le Canon des Écritures est la liste ou la collection, réglée par la tradition et l’autorité de l’Église, des livres inspirés de Dieu". Les Juifs définirent leurs Livres Sacrés à la fin du premier siècle (à Jamnia) ; ils les divisèrent en trois groupes : la Tôrah, les cinq premiers livres (en grec Pentateuque), les Prophètes (du livre de Josué à Ézékiel) et les Écrits (tous les autres). C’est le Concile de Trente (1546) qui définit la liste que nous connaissons, face à la Réforme protestante qui adoptait, pour l’Ancien Testament, le Canon des Juifs. On appela "livres apocryphes" les livres écartés par les Réformés (livres de l’Ancien Testament connus seulement par leur texte grec). Aujourd’hui, il est préférable de les dire "deutéro-canoniques". Dans la Bible, les livres ne sont pas disposés dans l’ordre chronologique de leur rédaction, dont les dates très hypothétiques ne peuvent rendre compte des nombreuses relectures. L’ordre a une signification théologique ; il n’est toutefois pas le même pour les Juifs, pour la Septante (texte grec) et pour les Chrétiens. La Bible chrétienne hérita de la classification de la Septante mais en excluant plusieurs livres. Cette sélection s’accomplit au cours des trois premiers siècles de l’Église, mais dès la fin du deuxième siècle l’essentiel était déjà acquis (Canon de Muratori). Repères chronologiques pour l’histoire d’Israël
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Pierre Watremez, bibliste |
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05/04/2013
Épîtres de Paul (2)
Epître aux Romains. Après une salutation emphatique, l'écrivain définit l'Evangile, qui est la puissance de Dieu pour le salut, parce que l'homme, dépourvu de justice, y trouve par la foi la justice qui vient de Dieu. Si on jette les yeux du côté des païens, on constate qu'ils ont perdu toute justice propre par leurs oeuvres et mérité de la sorte la condamnation de Dieu; l'examen de la situation des juifs amène à un résultat analogue, ce qui nous met en présence de la conclusion d'ensemble : aucun homme, soit juif, soit païen, n'est juste devant Dieu par ses œuvres. Il faudrait abjurer tout espoir, si l'Evangile n'ouvrait à l'homme, dépourvu de justice, une porte de salut, celle de la justice qui vient de Dieu par la foi en Jésus-Christ. C'est un acte de grâce, qui exclut tout orgueil, tout mérite humain, ce qui n'est pas pour dire que la foi annule la loi de Moïse; tout au contraire, elle confirme cette dernière. C'est ainsi que la foi est seule à procurer la justice qui vient de Dieu et, par suite, la ferme espérance du bonheur éternel. Le développement du péché et le développement de la justice qui vient de Dieu sont parallèles dans l'humanité jusqu'au triomphe de la grâce. Le chrétien, par le baptême, meurt au péché pour ressusciter à une vie nouvelle; le péché cesse de dominer sur le chrétien, parce que celui-ci n'est plus sous le règne de la loi, mais sous celui de la grâce. L'affranchissement de la loi est, en même temps, un affranchissement du péché, le chrétien étant animé d'un nouvel esprit du moment où il est à Christ. Il n'y a plus de condamnation pour le chrétien qui, affranchi de la chair et du péché, est conduit par l'esprit de Dieu; vivant dans l'attente du bonheur éternel, il est soutenu dans sa faiblesse par l'esprit et assuré de l'amour de Dieu. Paul exprime sa douleur à la pensée d'Israël qui reste par sa faute en dehors des grâces de l'Evangile, sans que Dieu se soit montré infidèle à ses promesses; car les Gentils ont obtenu par la foi la justice, tandis qu'Israël s'est heurté au Christ dans son aveuglement coupable, aveuglement qui n'est pas d'ailleurs une chute définitive et prendra fin conformément au plan divin. L'apôtre termine son exposé dogmatique par différentes considérations, appel à la modestie, à l'amour fraternel, invitation à se soumettre aux autorités civiles, indications d'un caractère personnel, recommandations et salutations individuelles.
Première épître aux Corinthiens. L'apôtre adresse des reproches aux fidèles de l'Eglise de Corinthe sur les divisions religieuses qui les déchirent, sur les scandales causés par le libertinage, sur l'usage de porter les différends devant les tribunaux païens. Il répond à une première question qui lui a été posée relativement au mariage, à une seconde question concernant les viandes immolées aux idoles; il recommande à ce propos de montrer de la condescendance pour les scrupules des faibles. Il donne ensuite des instructions sur la tenue des femmes dans l'Église, flétrit les désordres qui ont gâté les Agapes fraternelles et décrit le mérite des dons spirituels, notamment du don de prophétie, bien préférable au don des langues : ce développement est coupé par une digression éloquente consacrée à la charité (ch. XIII ), dont la note sentimentale s'ajuste mal au contexte. Paul s'élève ensuite avec énergie contre ceux qui nient la résurrection des morts et annonce la transformation surnaturelle qui mettra fin à l'économie actuelle. L'écrit se termine par des recommandations relatives à la collecte en faveur des pauvres de Jérusalem et par des indications d'un caractère personnel.
Seconde épître aux Corinthiens. L'apôtre bénit Dieu de ce qu'il le console dans ses afflictions et l'a délivré d'un danger récent. Ce qui fait sa gloire, c'est qu'il s'est toujours conduit avec loyauté. S'il a ajourné sa visite, c'est pour, épargner les Corinthiens; il rend grâce à Dieu de l'heureuse solution de différentes affaires délicates. Paul fait l'apologie de la manière dont il s'acquitte du ministère de la nouvelle alliance, très supérieur à celui de l'ancienne alliance, sans se laisser décourager par les difficultés de la tâche. Il fait appel à l'affection des fidèles de Corinthe en leur exprimant la joie qu'il ressent de leur repentir, de leur retour à lui et de leur obéissance; il insiste auprès d'eux sur l'importance de la collecte pour les pauvres de Jérusalem. Par un retour en arrière, l'apôtre prend à partie ceux qui se disent du « parti de Christ » et les réfute en faisant l'apologie de son propre ministère; il invite enfin Ies Corinthiens coupables à rentrer dans le devoir pour qu'il n'ait pas à sévir quand il ira chez eux. L'écrit se termine par des salutations.
Epître aux Galates. Cet écrit complète d'une façon très intéressante la série des quatre grandes épîtres de saint Paul. Apprenant que les chrétiens de Galatie sont sur le point d'abandonner le pur EvangiIe, l'Evangile de la grâce et de la foi, l'apôtre insiste sur ce que l'Évangile qu'il a prêché aux fidèles de cette région vient directement du Christ, que son apostolat est légitime en même temps qu'il le rend indépendant des autres apôtres, lesquels d'ailleurs lui ont solennellement rendu hommage à Jérusalem. Il était assez sûr de son bon droit pour reprendre l'apôtre Pierre qui compromettait le principe chrétien C'est par la foi que les Galates ont reçu l'esprit de Dieu; c'est en vertu de cette même foi que les Gentils deviennent fils d'Abraham et héritent des bénédictions promises à celui-ci, il n'est pas possible que la loi mosaïque annule la promesse faite antérieurement à Abraham et à sa postérité; la lui s'interpose entre l'antique promesse et sa réalisation dans L'Evangile afin de préparer ce dernier; la foi venue, la loi, devenue sans objet, est abrogée.
L'homme sous la loi n'est qu'au pauvre enfant en tutelle; c'est par la foi seule que l'homme devient libre, fils de Dieu, héritier de la promesse. On ne doit pas retourner à ces pauvres rudiments; l'alliance de la loi fait des esclaves, l'alliance de la foi fait des hommes libres. L'apôtre termine par un appel au maintien de la liberté, par des exhortations à l'amour, à l'humilité, à la libéralité, enfin par un dernier avertissement aux partisans de la circoncision.
Un second groupe de lettres comprend les épîtres aux fidèles d'Ephèse, de Philippes, de Colosses, de Thessalonique et un court billet qui a pour destinataire un particulier du nom de Philémon.
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