19/04/2013
Le livre de Job et l'expérience spirituelle(1)
Le thème du livre de Job se situe d'emblée au cœur de la théologie spirituelle. En effet, le destin typique de Job et les divers dialogues qui l'interprètent mettent en question directement la foi et l'espérance du juste aux prises avec une souffrance imméritée. Toute lecture théologique de Job débouche sur des problèmes majeurs auxquels le croyant, tôt on tard, se trouve confronté: le mystère du mal et de la souffrance, la rencontre de Dieu jusque dans l'échec apparent de toute réussite humaine, le rapport de la fidélité de l'homme avec la justice de Dieu, les difficultés du dialogue avec l'humanité souffrante et enfin le sens de la vie ellemême dès lors qu'elle doit intégrer la perspective de la mort.
Comme l'histoire du livre de Job conditionne étroitement son interprétation, nous ferons rapidement le point des connaissances actuelles sur la composition du livre avant de dégager les lignes de force théolo-giques du poème.
1.Histoire littéraire.
On s'accorde de plus en plus à distinguer dans le livre de Job quatre ensembles d'époque différente : le cadre narratif, presque entièrement en prose, qui comprend le prologue (1,1 à 2,10) et l'épilogue (2, 11-13; 42, 7-17); les dialogues de Job et des trois visiteurs (3-27; 29-31) et le discours de Yahvé avec la réponse de Job (38,1 à 42, 6) ; les discours d'Élihu, le quatrième "ami" (32-37); le poème sur la Sagesse (28).
1° le cadre narratif
À partir du prologue et de l'épilogue actuels on peut, sans trop de difficulté, recomposer le conte populaire qui a servi de base à toute l'œuvre. Les péripéties du drame biblique de Job ne se retrouvent telles quelles dans aucun texte du Proche-Orient ancien, ni en Égypte, ni en Mésopotamie où cependant le thème du juste souffrant était exploité dès la fin de l'époque sumérienne, environ deux mille ans avant J. C.
[textes dans H.H.Schmid, Wesen und Geschichte der Weisheit, Berlin, 1966, p. 173-239; J. Lévêque, Job et son Dieu, Paris, 1970, p. 13-93].
Mais la légende de Job semble être née hors d'Israël, soit en Édom, soit, plus probablement, dans la région du Hauran, en Transjordanie. Une divinité, lors d'un conseil céleste, décidait de mettre Job à l'épreuve. Job, atteint dans ses biens puis dans son propre corps, était tenté successivement par sa femme et par ses parents ou connaissances, qui lui suggéraient de rompre avec son dieu tutélaire. Resté fidèle jusqu'au bout, Job recevait l'approbation solennelle de son dieu et recouvrait ses richesses.
Ce conte populaire fut acclimaté très tôt en Israël, peut-être même dès l'époque où se sont formés les récits les plus anciens du Pentateuque (10e-9e siècles), et, vers 600, Ézéchiel pouvait faire allusion à Job comme à un héros bien connu (14, 12-23). Une mutation importante intervint dans la légende lorsque, après l'exil, on y introduisit le personnage de Satan (cf. G. Fohrer, Überlieferung und Wandlung der Hioblegende, dans Studien.., p. 44 -67). Enfin, probablement vers le milieu du Ve siècle, un auteur israélite de génie ressaisit le vieux récit populaire pour y insuffler une nouvelle théologie. Il écarta, comme les deux pans d'un rideau, les deux parties du conte primitif et, dans l'espace ainsi ouvert, entreprit de faire dialoguer Job d'abord avec trois visiteurs, puis avec Dieu lui-même. L'économie du récit fut dès lors assez profondément bouleversée: la visite des parents et connaissances, qui, primitivement, avait lieu au moment le plus intense des malheurs de Job, devint une visite de félicitations après le triomphe de sa foi (42, 11), et la restauration du bonheur de Job pourrait paraître maintenant une conclusion bien matérielle après l'espérance très dépouillée dont Job fait preuve dans les dialogues. Le poète du Ve siècle, manifestement, a voulu respecter au maximum la tradition qu'il empruntait.
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12/04/2013
Le canon des Écritures
"Le Canon des Écritures est la liste ou la collection, réglée par la tradition et l’autorité de l’Église, des livres inspirés de Dieu". Les Juifs définirent leurs Livres Sacrés à la fin du premier siècle (à Jamnia) ; ils les divisèrent en trois groupes : la Tôrah, les cinq premiers livres (en grec Pentateuque), les Prophètes (du livre de Josué à Ézékiel) et les Écrits (tous les autres). C’est le Concile de Trente (1546) qui définit la liste que nous connaissons, face à la Réforme protestante qui adoptait, pour l’Ancien Testament, le Canon des Juifs. On appela "livres apocryphes" les livres écartés par les Réformés (livres de l’Ancien Testament connus seulement par leur texte grec). Aujourd’hui, il est préférable de les dire "deutéro-canoniques". Dans la Bible, les livres ne sont pas disposés dans l’ordre chronologique de leur rédaction, dont les dates très hypothétiques ne peuvent rendre compte des nombreuses relectures. L’ordre a une signification théologique ; il n’est toutefois pas le même pour les Juifs, pour la Septante (texte grec) et pour les Chrétiens. La Bible chrétienne hérita de la classification de la Septante mais en excluant plusieurs livres. Cette sélection s’accomplit au cours des trois premiers siècles de l’Église, mais dès la fin du deuxième siècle l’essentiel était déjà acquis (Canon de Muratori). Repères chronologiques pour l’histoire d’Israël
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Pierre Watremez, bibliste |
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05/04/2013
Épîtres de Paul (2)
Epître aux Romains. Après une salutation emphatique, l'écrivain définit l'Evangile, qui est la puissance de Dieu pour le salut, parce que l'homme, dépourvu de justice, y trouve par la foi la justice qui vient de Dieu. Si on jette les yeux du côté des païens, on constate qu'ils ont perdu toute justice propre par leurs oeuvres et mérité de la sorte la condamnation de Dieu; l'examen de la situation des juifs amène à un résultat analogue, ce qui nous met en présence de la conclusion d'ensemble : aucun homme, soit juif, soit païen, n'est juste devant Dieu par ses œuvres. Il faudrait abjurer tout espoir, si l'Evangile n'ouvrait à l'homme, dépourvu de justice, une porte de salut, celle de la justice qui vient de Dieu par la foi en Jésus-Christ. C'est un acte de grâce, qui exclut tout orgueil, tout mérite humain, ce qui n'est pas pour dire que la foi annule la loi de Moïse; tout au contraire, elle confirme cette dernière. C'est ainsi que la foi est seule à procurer la justice qui vient de Dieu et, par suite, la ferme espérance du bonheur éternel. Le développement du péché et le développement de la justice qui vient de Dieu sont parallèles dans l'humanité jusqu'au triomphe de la grâce. Le chrétien, par le baptême, meurt au péché pour ressusciter à une vie nouvelle; le péché cesse de dominer sur le chrétien, parce que celui-ci n'est plus sous le règne de la loi, mais sous celui de la grâce. L'affranchissement de la loi est, en même temps, un affranchissement du péché, le chrétien étant animé d'un nouvel esprit du moment où il est à Christ. Il n'y a plus de condamnation pour le chrétien qui, affranchi de la chair et du péché, est conduit par l'esprit de Dieu; vivant dans l'attente du bonheur éternel, il est soutenu dans sa faiblesse par l'esprit et assuré de l'amour de Dieu. Paul exprime sa douleur à la pensée d'Israël qui reste par sa faute en dehors des grâces de l'Evangile, sans que Dieu se soit montré infidèle à ses promesses; car les Gentils ont obtenu par la foi la justice, tandis qu'Israël s'est heurté au Christ dans son aveuglement coupable, aveuglement qui n'est pas d'ailleurs une chute définitive et prendra fin conformément au plan divin. L'apôtre termine son exposé dogmatique par différentes considérations, appel à la modestie, à l'amour fraternel, invitation à se soumettre aux autorités civiles, indications d'un caractère personnel, recommandations et salutations individuelles.
Première épître aux Corinthiens. L'apôtre adresse des reproches aux fidèles de l'Eglise de Corinthe sur les divisions religieuses qui les déchirent, sur les scandales causés par le libertinage, sur l'usage de porter les différends devant les tribunaux païens. Il répond à une première question qui lui a été posée relativement au mariage, à une seconde question concernant les viandes immolées aux idoles; il recommande à ce propos de montrer de la condescendance pour les scrupules des faibles. Il donne ensuite des instructions sur la tenue des femmes dans l'Église, flétrit les désordres qui ont gâté les Agapes fraternelles et décrit le mérite des dons spirituels, notamment du don de prophétie, bien préférable au don des langues : ce développement est coupé par une digression éloquente consacrée à la charité (ch. XIII ), dont la note sentimentale s'ajuste mal au contexte. Paul s'élève ensuite avec énergie contre ceux qui nient la résurrection des morts et annonce la transformation surnaturelle qui mettra fin à l'économie actuelle. L'écrit se termine par des recommandations relatives à la collecte en faveur des pauvres de Jérusalem et par des indications d'un caractère personnel.
Seconde épître aux Corinthiens. L'apôtre bénit Dieu de ce qu'il le console dans ses afflictions et l'a délivré d'un danger récent. Ce qui fait sa gloire, c'est qu'il s'est toujours conduit avec loyauté. S'il a ajourné sa visite, c'est pour, épargner les Corinthiens; il rend grâce à Dieu de l'heureuse solution de différentes affaires délicates. Paul fait l'apologie de la manière dont il s'acquitte du ministère de la nouvelle alliance, très supérieur à celui de l'ancienne alliance, sans se laisser décourager par les difficultés de la tâche. Il fait appel à l'affection des fidèles de Corinthe en leur exprimant la joie qu'il ressent de leur repentir, de leur retour à lui et de leur obéissance; il insiste auprès d'eux sur l'importance de la collecte pour les pauvres de Jérusalem. Par un retour en arrière, l'apôtre prend à partie ceux qui se disent du « parti de Christ » et les réfute en faisant l'apologie de son propre ministère; il invite enfin Ies Corinthiens coupables à rentrer dans le devoir pour qu'il n'ait pas à sévir quand il ira chez eux. L'écrit se termine par des salutations.
Epître aux Galates. Cet écrit complète d'une façon très intéressante la série des quatre grandes épîtres de saint Paul. Apprenant que les chrétiens de Galatie sont sur le point d'abandonner le pur EvangiIe, l'Evangile de la grâce et de la foi, l'apôtre insiste sur ce que l'Évangile qu'il a prêché aux fidèles de cette région vient directement du Christ, que son apostolat est légitime en même temps qu'il le rend indépendant des autres apôtres, lesquels d'ailleurs lui ont solennellement rendu hommage à Jérusalem. Il était assez sûr de son bon droit pour reprendre l'apôtre Pierre qui compromettait le principe chrétien C'est par la foi que les Galates ont reçu l'esprit de Dieu; c'est en vertu de cette même foi que les Gentils deviennent fils d'Abraham et héritent des bénédictions promises à celui-ci, il n'est pas possible que la loi mosaïque annule la promesse faite antérieurement à Abraham et à sa postérité; la lui s'interpose entre l'antique promesse et sa réalisation dans L'Evangile afin de préparer ce dernier; la foi venue, la loi, devenue sans objet, est abrogée.
L'homme sous la loi n'est qu'au pauvre enfant en tutelle; c'est par la foi seule que l'homme devient libre, fils de Dieu, héritier de la promesse. On ne doit pas retourner à ces pauvres rudiments; l'alliance de la loi fait des esclaves, l'alliance de la foi fait des hommes libres. L'apôtre termine par un appel au maintien de la liberté, par des exhortations à l'amour, à l'humilité, à la libéralité, enfin par un dernier avertissement aux partisans de la circoncision.
Un second groupe de lettres comprend les épîtres aux fidèles d'Ephèse, de Philippes, de Colosses, de Thessalonique et un court billet qui a pour destinataire un particulier du nom de Philémon.
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29/03/2013
Épîtres de Paul (1)
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On connaît les caractères de la théologie de saint Paul grâce à l'analyse des épîtres ou lettres qui nous sont parvenues sous son nom. Les Épîtres de saint Paul, sans être des traités didactiques au sens propre du mot, nous présentent sous une forme suffisamment systématique les éléments de ce qui fut la foi de la première Eglise chrétienne. On peut les dégager des circonstances qui ont mis la plume à la main du fongueux propagandiste. Tout d'abord, il faut considérer dans saint Paul l'élève des écoles juives, qui a conservé les doctrines traditionnelles concernant Dieu, la justice, le péché, la prédestination, la doctrine des choses dernières, l'angélologie et la démonologie et notamment l'élection d'Israël. En se rangeant dans le groupe de ceux qui reconnaissaient en la personne de Jésus de Nazareth le Messie prédit par les prophètes, Paul accepte, en sus, le principe d'interprétation des livres sacrés qui prévalait dans les premières communautés nazaréennes ou chrétiennes. La mort de Jésus, le Christ ou Messie, lui apparaît comme le sacrifice par lequel a été consommée la rédemption du genre humain, voué à la mort par le péché du premier couple humain; la résurrection de Jésus est l'acte par lequel la divinité a accepté la rançon offerte pour l'humanité coupable. Ici intervient le dogme ou, plus exactement, la nuance dogmatique propre à l'apôtre des Gentils : pour participer au salut, à la rédemption opérée par le sacrifice de Jésus, victime pure et sans tache, il faut que le fidèle se confonde avec le Christ par un acte de foi. Par une sorte d'identification, à la fois mystique et matérielle, avec le Christ, chaque fidèle meurt avec le Christ pour participer ensuite à la résurrection de ce même Christ. Toutes les individualités, en vertu de la foi, s'absorbent et disparaissent dans la personne du Christ pour prendre leur part de la gloire, par laquelle Dieu a couronné le sacrifice de son fils. Tout mérite particulier est nié, tant par la doctrine de la grâce et de l'élection par laquelle Dieu lui-même désigne les participants au salut, que parla doctrine, déjà indiquée, de la foi, qui est opposée à la notion d'une justice obtenue par les oeuvres, c.-à-d. par l'effort personnel. Aussi saint Paul bat en brèche, avec une sorte de rage froide, l'idée que l'on pourrait arriver à la justice, c.-à-d. au salut, par l'exact accomplissement des commandements divins. Par un paradoxe déconcertant, il déclare que la loi de Moïse elle-même n'a eu d'autre effet que de pousser au mal et au péché, dont le sacrifice de Jésus seul peut amener la fin. D'ailleurs saint Paul, pénétré d'une confiance profonde dans le retour imminent du Christ, qui va redescendre du ciel pour procéder au ,jugement de l'humanité, se soucie fort peu d'organiser d'une façon durable les communautés chrétiennes. Il ne voit rien au delà de la foi mystique, qui se manifeste par des phénomènes d'extase. En ce qui touche ses nationaux, les juifs, saint Paul désespère de leur conversion immédiate à l'Évangile, mais nourrit la confiance qu'ils finiront par suivre l'exemple donné par les Gentils. En somme, un seul recours s'ouvre à l'homme pécheur contre l'enfer et la perdition, c'est la justification, non par les oeuvres mais par la foi en Jésus le Christ, fils de Dieu, mort et ressuscité. La doctrine de saint Paul ne diffère pas essentiellement de celle qui nous est exposée dans les autres livres du Nouveau Testament; pour tous les chrétiens, en effet, quelles que soient leurs tendances plus ou moins judaïsantes, qu'ils essaient de laisser leur importance aux « oeuvres », comme l'épître dite de saint Jacques, ou qu'ils inclinent au dualisme gnostique comme les écrits placés sous le patronage de saint Jean, le fidèle ne peut être sauvé que par la foi en Jésus considéré comme le Christ ou Messie. Mais la notion de la justification par la foi prend dans la théologie de saint Paul un sens subtil et étroit, qui devait provoquer bien des doutes et des protestations lorsque l'ardent tribun n'était plus là pour l'imposer par la véhémence de sa parole, impatiente de n'importe quelle contradiction. Si donc saint Paul a triomphé en apparence, la réalité ne lui a pas été très favorable ; on a employé sa terminologie, mais en la dépouillant de sa rigueur ; on a marié dans la pratique à la foi, qui a surtout consisté en un formulaire doctrinal, les oeuvres ou la pratique, qui excitaient son indignation. Si la réforme religieuse du XVIe siècle a remis la doctrine de saint Paul en honneur, ses préférences ne semblent pas avoir été dictées par une connaissance approfondie du tempérament moyen des fidèles. Un homme de cabinet peut se plaire aux outrances de la dialectique qui fait l'originalité des épîtres de saint Paul; le grand public peut s'intéresser à cette existence errante, à cette nature de missionnaire batailleur, mais on s'en fatigue vite comme de tout ce qui est tendu et excessif. Le Nouveau Testament renferme treize lettres ou épîtres qui portent le nom de saint Paul (en dehors de l'Epître aux Hébreux qui est, en réalité, anonyme et ne saurait être attribuée à l'apôtre des Gentils). Sur ces treize lettres, la plus considérable est celle adressée aux fidèles de la communauté de Rome; viennent ensuite deux lettres adressées aux fidèles de Corinthe, et une lettre dont les destinataires sont les chrétiens des églises de la Galatie. L'authenticité de ces quatre morceaux est admise par la quasi-unanimité des critiques, bien qu'on puisse y soupçonner des remaniements et des interpolations d'une certaine importance. |
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22/03/2013
Martin Luther et la traduction de la Bible (2)
Quel texte de base pour la traduction de Luther?
La Bible complète de Luther date donc de 1534. Sur quelles bases Luther travaille-t-il?
Pour le Nouveau Testament, Luther dispose de la seconde édition (1519) de la version grecque publiée par Erasme, édition munie de notes et d’une traduction latine. La Vulgate lui est plus familière et sa connaissance du grec est moindre que celle d’humanistes tels que Mélanchthon. Pourtant sa traduction s’appuie bien sur la version grecque sans qu’il soit possible de déterminer de manière complète et précise jusqu’où va sa référence au texte original.
Pour l’Ancien Testament, Luther se base sur le texte hébreu.
Il va de soi qu’on s’est aussi demandé dans quelle mesure il connaissait et utilisait les traductions antérieures de la Bible. Les réponses des spécialistes ne convergent pas tout à fait. Mais une véritable dépendance de Luther par rapport à ces versions n’a pas pu être établie jusqu’à présent. De toute manière, personne ne conteste l’originalité ni la qualité de son travail par rapport aux traductions antérieures.
Quels principes de traduction pour Luther?
Les historiens du christianisme et de la culture s’accordent pour voir dans la traduction de la Bible par Luther l’une de ses œuvres maîtresses, la plus importante si l’on pense à l’impact qu’elle a eu jusqu’à nos jours sur la population protestante de langue allemande.
Quels étaient les principes appliqués par Luther dans sa traduction? Il s’en explique notamment dans son Epître sur l’art de traduire de 1530. D’après lui, c’est le sens d’un passage qu’il faut rendre avant tout et non pas donner la préférence à une traduction littérale. «Les mots doivent servir le sens et le suivre.»
Luther prend ainsi un certain nombre de libertés avec le texte. Privilégiant le sens du texte, il se permet de laisser tomber des mots et traduit toujours en pensant au lecteur, à ce qu’il comprendra sous les mots employés.
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Luther introduit des modifications de vocabulaire permettant de s’adapter aux changements de la société. Ainsi, dans sa version, les disciples sont assis à table alors que, d’après le texte original, ils sont couchés.
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A l’occasion, il opère des changements grammaticaux. Ainsi «tu es mon refuge» (Ps 91.9) devient «il est ton refuge». Dans l’ensemble du Psaume, il modifie des pronoms, de sorte que l’aspect de dialogue entre le prêtre et le fidèle disparaît.
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D’un poids particulier est évidemment l’introduction du mot «seul» dans Romains 3.28, qui devient ainsi «l’homme est justifié par la foi seule». Il s’en explique en 1530: «La pensée du texte porte ces lettres (= sola) en elle et, si l’on veut traduire clairement et efficacement ce texte en allemand, il faut les y mettre: l’usage de notre langue allemande implique que, lorsqu’on parle de deux choses dont on affirme l’une en niant l’autre, on emploie le mot solum (= seulement) à côté du mot ‘par’ ou ‘aucun’.»
Le traducteur est aussi, pour Luther, un interprète. Mais l’interprétation doit se faire à partir de l’ensemble du témoignage biblique et du contexte du passage.
Il s’agit aussi pour Luther d’épouser la démarche propre de la langue dans laquelle on veut traduire. «J’ai voulu parler l’allemand et non pas latin ni grec.» Là où l’hébreu accumule les substantifs (la tempête de la mer, Psaume 89.10), Luther passe à l’adjectif (la mer troublée, das ungestüme Meer). La question clé est toujours de savoir «comment l’Allemand parlerait dans ce cas». «Celui qui veut parler allemand ne doit pas se conformer à la manière hébraïque d’ordonner les mots, mais doit veiller à comprendre le sens de ce que l’hébreu a voulu dire. Puis il doit se demander: ‘Mon cher, comment un Allemand exprime-t-il cela dans ce cas?’ S’il a trouvé les mots allemands utiles, qu’il laisse tomber les mots hébreux et exprime librement le sens dans le meilleur allemand possible… Il faut demander à la mère au foyer, aux enfants dans la rue, à l’homme au marché et leur regarder sur la bouche comment ils parlent et traduire ensuite. De cette manière, ils comprennent et remarquent que l’on parle allemand avec eux.»
Il arrive aussi à Luther d’affirmer son attachement à la lettre même d’un passage qu’il veut traduire. Il se rend compte de l’importance d’un terme dans la version originale et choisit de le conserver. «Ainsi lorsque Christ dit dans Jean 6 (Jean 6.27) ‘Dieu le Père a scellé celui-ci’, ç’aurait été un meilleur allemand de dire: ‘Dieu le Père a marqué celui-ci’ ou bien ‘Dieu le Père a désigné celui-ci’. Mais j’ai préféré porter atteinte à la langue allemande plutôt que de m’éloigner du mot.»
L’exemple de Matthieu 5.20 le montre aussi. Mot à mot: «Je dis en effet à vous que si n’est pas en plus de vous la justice plus que des scribes et des pharisiens, il n’y a pas (à craindre) que vous entriez dans le royaume des cieux.»
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Luther (1534): Denn ich sage euch: Es sei denn eure Gerechtigkeit besser denn der Schriftgelehrten und Pharisäer, so werdet ihr nicht in das Himmelreich kommen.
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Segond 21: En effet, je vous le dis, si votre justice ne dépasse pas celle des spécialistes de la loi et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux.
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Semeur: Je vous le dis: si vous n'obéissez pas à la Loi mieux que les spécialistes de la Loi et les pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux.
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Français courant: Je vous l'affirme: si vous n'êtes pas plus fidèles à la volonté de Dieu que les maîtres de la loi et les Pharisiens, vous ne pourrez pas entrer dans le Royaume des cieux.
Luther a une conception de la justice comme étant passive: c’est la justice que Dieu donne au croyant. Il aurait donc de la peine à traduire comme la Semeur ou la Français courant, qui insistent sur la justice active, sur ce que fait le croyant. La Segond 21 reste proche du grec et permet les deux interprétations.
Ainsi, «tantôt nous conservons la lettre sans broncher, tantôt nous rendons seulement le sens». Traduire, c’est rechercher l’expression la plus adéquate. Il faut choisir entre plusieurs synonymes le meilleur terme. «Il nous est souvent arrivé de chercher et de nous interroger pendant quinze jours ou trois, quatre semaines au sujet d’un mot unique, sans pourtant le trouver à ce moment-là.»
Quel impact pour la traduction de Luther?
La Bible de Luther a été un grand succès d’édition.
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L’édition du Nouveau Testament de 1522 illustrée, qui s’élevait probablement à 3000 exemplaires, a été épuisée en quelques semaines, bien que le prix soit d’au moins le salaire d’une semaine d’un artisan.
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Sur 455 pamphlets de la période de 1523-1525 qu’on a pu étudier, 287 citaient la Bible selon la version de Luther.
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L’imprimeur Hans Lufft a vendu, en 50 ans, 100'000 exemplaires de la Bible entière, alors qu’en 1534 elle coûtait le salaire de 3 semaines d’un maître-maçon.
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Jusqu’à la mort de Luther, plus de 430 éditions de la Bible traduite par lui ou d’extraits de cette Bible ont vu le jour.
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On a calculé qu’en 1535 un Allemand sur 70 était en possession d’un Nouveau Testament.
Il y a un siècle encore l’opinion prévalait que Luther avait été le créateur de l’allemand moderne. On aimait citer le jugement de Herder selon lequel «Luther avait réveillé et libéré la langue allemande moderne, ce géant endormi».
Les avis sont aujourd’hui plus nuancés, voire divergents. Les spécialistes font observer que les origines de l’allemand moderne remontent au 14e siècle et que son histoire s’est étendue sur plusieurs siècles. Avant Luther déjà, le vocabulaire allemand du nord et de l’est avait commencé à s’imposer aux dépens de celui de l’Allemagne du sud-ouest.
Pourtant, le rôle de Luther a été considérable. Il a contribué de manière décisive à la percée de la langue qui était parlée en Allemagne centrale, dans le processus d’unification qui allait aboutir à l’allemand moderne. On sait que lui-même employait l’allemand dit de Meissen, qui était aussi utilisé dans les chancelleries de la Saxe supérieure et de la Thuringe. Or, l’impact de ses écrits de langue allemande, en particulier de sa traduction de la Bible, a été considérable, surtout dans l’Allemagne protestante.
En 1520, 90% des écrits imprimés étaient encore en latin, pour s’élever à 70% vers 1570. L’évolution a été hâtée par l’action de Luther. Son influence a évidemment été favorisée par l’imprimerie. Son rôle unificateur correspondait d’ailleurs aux préoccupations des imprimeurs désireux de répandre leur produits dans l’ensemble de l’Allemagne. Les vœux des chancelleries allaient dans le même sens: elles aussi souhaitaient pouvoir utiliser une langue allemande uniforme.
Luther a fait avancer, sans l’achever, le processus d’unification. Ses dons linguistiques et sa volonté d’être à l’écoute du peuple ont conduit vers une langue qui convenait aussi bien au peuple qu’aux juristes et aux lettrés.
Luther a créé, surtout dans sa traduction de la Bible, un certain nombre de mots: Sündenbock (bouc émissaire), gottgefällig (agréable à Dieu), Kleingläubig (de peu de foi).
Ses choix entre plusieurs mots ont été décisifs: fett préféré à feist pour le mot gras, bange plutôt que zage pour craintif, Grenze plutôt que Mark pour limite, sans réussir pourtant à imposer tous ses choix aux siècles ultérieurs. Le mot freudig sera ainsi remplacé par entschlossen pour décidé.
Si la Réforme a fait progresser dans les territoires protestants le processus d’unification linguistique, elle a aussi agrandi le fossé entre les espaces linguistiques protestants et catholiques. En effet, dans les territoires demeurés catholiques, le latin allait conserver plus longuement sa position dominante.
Sources principales: Marc Lienhard (Martin Luther, Labor et Fides) et Alfred Kuen (Une Bible et tant de versions, Emmaüs)
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