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25/11/2016

Brève histoire des protestants de droite nationale:

 

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Au début des années 30, après la mise à l'index de l'Action Française par le Vatican, certains éléments du protestantisme ont pensé que c'était le moment de s'affirmer en créant l'Association Sully, dont l'implantation sera principalement à Paris et dans le midi. Elle regroupera  notables et militants, ainsi qu'un assez important groupe d'étudiants. Son souhait : rassembler tous les royalistes protestants en se référant à la pensée de Maurras, mais en affirmant avec netteté son héritage royaliste et huguenot.

 

 

 

 

 

A sa tête se trouvera un triumvirat formé de l'industriel alsacien Eugène Kuhlman, de Louis de Seynes et du colonel la Tour Dejean. Parmi les membres nous trouvons Auguste Lecerf, artisan du renouveau calviniste ; mais l'âme et l'idéologue en est le pasteur Noël Vesper (de son vrai nom: Nougat) qui considère le Protestantisme comme un retour à l'Eglise primitive. Le royalisme, quand à lui, était un retour aux principes générateurs de la nation française ; ces deux aspects étant solidaires.

 

 

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Nombreux seront ceux qui rejoindront le régime de Vichy. Dans l'entourage du Maréchal on trouve le Général Brécard, secrétaire général de l'Etat, René Guillouin, chargé de mission, M. Arnal, directeur adjoint aux affaires politiques, l'amiral Platon, secrétaire d'état aux colonies. Cette frange non négligeable du protestantisme souhaite un état fort dans la lignée de Maurras. Elle s'opposera aux instances du protestantisme et au Pasteur Boegner, à qui ils reprocheront de diviser les français. La mise au pas ne tarda pas. Une circulaire du synode national, en 1943, obligeât chaque Pasteur à lire en chaire un message officiel adressé aux fidèles : ceux qui, au nom de leurs convictions, protestantes, royalistes et nationalistes refuseront seront exclus.

 

 

 

 

 

C’est dans ce contexte trouble de guerre civile, que le Pasteur Vesper va s'engager totalement, en prenant des positions de plus en plus radicales. Cela est certainement regrettable, le contexte de l'époque entre répressions et épuration explique beaucoup de chose. Il paiera cher ses excès verbaux, assassiné avec son épouse sans aucune forme de procès par le maquis communiste (comme l'amiral Platon). Bien des années plus tard, lors de la création des comités, Tixier Vignancourt, un autre Pasteur venu de l'autre bord, ancien aumônier des troupes de Lattre en Italie, deviendra la voie du protestantisme de notre famille politique. J'ai bien connu Paul Rigal. J'ai eu l'occasion maintes fois, jusqu'à sa mort, de lui rendre visite, dans son presbytère derrière St Pierre le jeune à Strasbourg.

 

 

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                                         Pasteur  Blanchard

 

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28/10/2016

Une période controversé de la vie de Luther:la guerre des paysans.

 

 

La guerre des Paysans allemands (en langue allemande : Deutscher Bauernkrieg) est un conflit qui a eu lieu dans le Saint-Empire romain germanique entre 1524 et 1526 dans des régions de l’Allemagne du Sud, de la Suisse, de la Lorraine allemande et de l’Alsace. On l’appelle aussi, en allemand, le Soulèvement de l’homme ordinaire (Erhebung des gemeinen Mannes), ou en français la révolte des Rustauds.

 

 

Cette révolte a des causes religieuses, liées à la réforme protestante, et sociales, dans la continuité des insurrections qui enflamment alors régulièrement le Saint-Empire, comme celles menées par Joß Fritz. Le souvenir des révoltes liées à l'Église hussite a pu également jouer un rôle.

 

La révolte des paysans est soutenue par les anabaptistes de Münster.

 

 

Naissance du mouvement

 

 

Le mouvement naît près de Schaffhouse (Bade) lorsque des paysans refusent à leurs seigneurs une corvée jugée abusive. Ils obtiennent le soutien de Balthazar Hubmaïer, curé de Waldshut converti à la Réforme et signent un traité d’assistance mutuelle (15 août 1524) conciliant les objectifs sociaux et religieux. La révolte se développe durant l’hiver en Souabe, en Franconie, en Alsace et dans les Alpes autrichiennes. Les paysans prennent des châteaux et des villes (Ulm, Erfurt, Saverne).

 

 

Les paysans mêlent les revendications religieuses (élection des prêtres par le peuple, limitation du taux des dîmes), sociales et économiques (suppression du servage, liberté de pêche et de chasse, augmentation de la surface des terres communales, suppression de la peine de mort). Ces revendications sont exprimées dans le manifeste des Douze Articles du maître cordier Sébastien Lotzer de Memmingen : il dénonce les dîmes détournées de leur objet, le passage de la rente foncière au faire-valoir direct et réclame des réformes, sans remettre en cause le système seigneurial (douze articles).

 

 

On estime généralement qu’environ 300 000 paysans se révoltèrent, et que 100 000 furent tués.

 

Causes politiques

 

 

Les causes sont multiples, d’abord politiques. Au XVIe siècle, le Saint-Empire romain germanique a éclaté en une multitude de seigneuries féodales, particulièrement en Allemagne du sud, et surtout en Souabe, provoquant des rivalités locales, des protectionnismes commerciaux, autant de freins à tout développement économique. Les problèmes des paysans s’inscrivent dans une époque, dans un terroir, dans les réalités de tel propriétaire foncier.

 

 

Situation des paysans

 

Les paysans sont la principale force de travail de l'époque, dans la féodalité composée du clergé, des maisons princières, de la noblesses, des fonctionnaires, et des bourgeois. Économiquement, le sort des paysans n'est pas uniforme : il y a des laboureurs riches et des pauvres. Hélas la dîme qui pourvoit financièrement à la vie d'Eglise est régulièrement détournée par les pouvoirs temporels. Le nombre des bénéficiaires ne cesse d’augmenter : grande dîme, petite dîme sur les revenus et bénéfices. Les corvées se font également pesantes dans bien des cas.

Les problèmes économiques, les mauvaises récoltes et la pression des seigneurs terriens sont nuisibles aux paysans.

 

 

Le vieux droit oral est librement interprété par les propriétaires terriens voire ignoré. On exproprie des communes établies depuis des siècles, on réduit ou abolit des droits communautaires de pâture, d’abattage de bois, de pêche, de chasse.

 

 

Situation dans l’Empire

 

 

La haute noblesse ne prête intérêt aux changements des conditions de vie des paysans que lorsque l'évolution perturbe voire menace ses avantages et privilèges. La basse noblesse, en déclin et en perte de prestige, peut se marginaliser, et de nombreux petits nobles tâchent de survivre par le pillage et le brigandage (les chevaliers brigands (de), ce qui accroît le fardeau des paysans.

Le clergé, face aux abus et aux critiques, impose généralement le statu quo. Le catholicisme, dans ce contexte, est un pilier du système féodal. L'Église et les ordres religieux sont eux-mêmes organisés en général de manière féodale, mais surtout les évêchés et les monastères sont bien souvent pris dans le jeu des relations féodales de par leurs possessions temporelles. Les recettes de l’Église viennent principalement des dons et offrandes, de la vente d’indulgences, de la dîme, de droits seigneuriaux. La dîme, dont la collecte peut être confiée à des nobles, est pour ceux-ci également une occasion d'abus et une source importante de revenus.

 

 

Les seules tentatives de réforme visant à moderniser les structures féodales viennent de la bourgeoisie, mais restent mineures, les villes jouissant elles-mêmes de statuts privilégiés (les villes libres d'Empire), qui leur occasionnent des préoccupations à l'image de celles de la noblesse et du clergé.

 

 

Réforme religieuse

 

 

L’Église connaît de considérables dysfonctionnements. Beaucoup de religieux, surnommés péjorativement curetons (Pfaffen), mènent une vraie vie de débauche en tirant profit tant des taxes et héritages de la population riche, que des taxes et dons des pauvres. À Rome, l’accès aux charges et dignités passe par le népotisme, le clientélisme et la corruption. En contradiction avec la lettre et l'esprit des préceptes évangéliques, les papes se conduisent en souverains, en chefs de guerre, en maîtres d’œuvre insatiables et en mécènes fastueux.

Ces abus suscitent les critiques de Hans Böhm, Girolamo Savonarola, puis de Luther. Quand le dominicain Johannes Tetzel sillonne l’Allemagne, en 1517, pour prêcher les indulgences sur l’ordre d’Albrecht, archevêque endetté de Mayence, et du pape Léon X, il parvient à en monnayer aux plus nécessiteux même : Luther se révolte alors et rédige ses 95 thèses, qu’il affiche, selon la légende, sur la porte de l’église de Wittenberg.

 

 

Dans ce mouvement de contestation, Zwingli, à Zurich, et Calvin, à Genève, soutiennent que chaque être humain peut trouver son chemin vers Dieu et le salut de son âme sans l’intermédiaire de l’Église. Ils ébranlent ainsi les prétentions absolutistes de l’Église romaine et valident les critiques de la population : le clergé, oublieux de sa doctrine, perd toute légitimité.

 

La critique de Luther est plus radicale, dans son écrit sur la liberté d’un chrétien (1520) : « Un chrétien est le maître de toutes choses et n'est le sujet de personne ». Cette argumentation et sa traduction en allemand du Nouveau Testament, en 1522, sont les déclics décisifs pour le soulèvement de la population des villages. Les gens simples peuvent désormais mettre en cause les prétentions de la noblesse et du clergé, jusque là justifiées par la volonté de Dieu. La terrible situation des paysans n’a aucun fondement biblique et les empiètements des propriétaires fonciers sur l’Ancien Droit sont en contradiction avec le véritable droit divin : « Dieu fait pousser plantes et animaux, sans intervention humaine, et pour l’ensemble des hommes ». Et on peut désormais revendiquer l'égalité des droits entre tous les hommes, paysans, nobles, ou clercs.

 

 

Luther, voyant la révolte paysanne se retourner contre ses appuis seigneuriaux, condamna les soulèvements de 1525 dans une courte brochure d'une rare violence, véritable appel au massacre, intitulée Contre les bandes pillardes et meurtrières des paysans, dans laquelle il écrit [1]:

 

 

« (...) tous ceux qui le peuvent doivent assommer, égorger et passer au fil de l'épée, secrètement ou en public, en sachant qu'il n'est rien de plus venimeux, de plus nuisible, de plus diabolique qu'un rebelle (...). Ici, c'est le temps du glaive et de la colère, et non le temps de la clémence. Aussi l'autorité doit-elle foncer hardiment et frapper en toute bonne conscience, frapper aussi longtemps que la révolte aura un souffle de vie. (...) C'est pourquoi, chers seigneurs, (...) poignardez, pourfendez, égorgez à qui mieux mieux". »

 

 

Cette violence exprimée à l'encontre du peuple paysan, souligna en creux les véritables ambitions politiques de Luther : elles n'étaient pas du tout la libération du peuple de la géhenne seigneuriale ou cléricale, mais de soumettre et unifier l'Allemagne par ses doctrines, en s'appuyant sur les princes acquis à sa cause, ou sur les villes bourgeoises voulant se libérer de l'autorité trop restrictive de Rome, fût-ce par le sang des pauvres et des humbles.

 

 

Responsables

 

 

Beaucoup de simples paysans osent se soulever contre leurs seigneurs à cause de leurs conditions de soumission, aussi variées soient-elles. La classe supérieure villageoise est la première à vouloir des changements. Les responsables de communautés, les juges de campagne, les artisans de village, les bourgeois des champs (résidant en petites villes), soutiennent la révolte et, un peu partout, poussent les paysans pauvres à rejoindre les bandes de paysans.

 

 

D’eux-mêmes, les paysans veulent d’abord réinstaurer les anciens droits traditionnels et mener une vie digne d’un être humain et, pour le reste, dans le respect de Dieu. Leurs revendications secouent les fondements de l’ordre social existant : réduction des charges, abolition du servage.

 

 

Historique

 

 

Insurrections antérieures

 

 

La situation des paysans, en détérioration constante, est à l’origine de nombreux conflits régionaux bien avant 1524. Le mécontentement paysan grossit sur plusieurs décennies. Il se manifeste dans un grand nombre de soulèvements régionaux (des jacqueries) provoqués par la situation générale aggravée par des problèmes annexes locaux. Parmi les très nombreuses petites actions de protestation, on retient les insurrections suivantes, impliquant le monde paysan ou le concernant :

 

 

  • depuis 1291, rébellion de la confédération des nobles contre les Habsbourg,
  • 1419-1420 et 1433-1434, guerre des Hussites en Bohême,
  • 1476 : révolte autour de Hans Böhm, en Franconie,
  • 1478 : insurrection en Carinthie,
  • 1492 : émeutes en Allgäu,
  • 1493 : conspiration Bundschuh en Alsace,
  • 1502 : conspiration Bundschuh à Speyer,
  • 1513 : conspiration Bundschuhen Breisgau,
  • 1514 : soulèvement du Pauvre Conrad en Würtemberg,
  • 1517 : conspiration Bundschuh en Forêt-Noire,
  • 1522-1523 : mutinerie des chevaliers au Palatinat

 

 

Les bourgeois de nombreuses villes avancent également des revendications, se solidarisant parfois avec les paysans : Erfurt en 1509, Ratisbonne en 1511, Brunswick, Spire, Cologne, Schweinfurt, Worms, Aix-la-Chapelle, Osnabrück, etc.

 

 

 

Presque tous les soulèvements de paysans sont réprimés par la force. Le long soulèvement des paysans montagnards suisses vient juste de s’achever par un succès. Mais la situation des paysans ne s’en améliore d’aucune façon. Les représailles sont la suite la plus fréquente.

 

 

Escalade de 1524

 

 

 

Localisation du mouvement.

En 1524, des troubles surgissent à nouveau près de Forchheim, à proximité de Nuremberg, puis à Mühlhausen, près d’Erfurt. En octobre 1524, les paysans se soulèvent à Wutachtal, près de Stühlingen. Peu de temps après, 3 500 paysans font route vers Furtwangen. En Haute Souabe et autour du lac de Constance, ça fermente depuis assez longtemps ; en février et mars 1525 se forment, en fort peu de temps, trois bandes de paysans en armes avec des bourgeois et des religieux pour un total de 30 000 hommes.

 

 

Les 12 articles

 

 

Les trois bandes de Haute Souabe veulent une amélioration de leurs conditions de vie, sans guerre. Ils entrent en négociation avec la Ligue de Souabe (ou Alliance souabe). Cinquante de leurs représentants se réunissent dans la ville impériale libre de Memmingen, dont la bourgeoisie sympathise avec les paysans. Les dirigeants des trois troupes cherchent à formuler les revendications paysannes et à les appuyer par des arguments tirés de la Bible. Le 20 mars 1525 voit l’adoption des Douze Articles et du règlement de leur fédération, à la fois recours, programme de réforme et manifeste politique. Sur le modèle de la confédération helvétique, les paysans fondent la confédération de Haute Souabe : les bandes doivent à l’avenir se porter garantes les unes des autres, au contraire des soulèvements précédents. Les deux textes sont vite imprimés en quantité et distribués pour un élargissement rapide du soulèvement dans tout le sud de l’Allemagne et au Tyrol. La fondation de la confédération de Haute Souabe est présentée à l’Alliance Souabe, à Augsbourg, dans l’espoir de la faire participer aux négociations en tant que partenaire de même poids. Après différents pillages et l’assassinat de Weinberg, les nobles, unis dans la Ligue de Souabe, n’ont aucun intérêt à participer à des négociations. La famille marchande Fugger, d’Augsbourg, subventionne Georg Truchsess de Waldburg-Zeil, surnommé Bauernjörg, qui, avec une armée de 9 000 charretiers et 1 500 chevaliers en armure, veut écraser les paysans armés surtout de faux et de fléaux.

 

 

La négociation des 12 articles est le pivot de la guerre des paysans : leurs revendications y sont, pour la première fois, formulées de manière uniforme et fixées par écrit. Les paysans se présentent, pour la première fois, solidaires contre les autorités. Jusque là, les soulèvements échouaient principalement à cause de l’éclatement de l’insurrection et des soutiens insuffisants. Toutefois, si les paysans n’avaient pas négocié avec l’Alliance Souabe, mais occupé un territoire plus important, ils auraient difficilement pu être battus en raison de leur supériorité numérique et leurs revendications auraient été prises plus au sérieux.

 

 

  1. Chaque communauté paroissiale a le droit de désigner son pasteur et de le destituer s’il se comporte mal. Le pasteur doit prêcher l’évangile, précisément et exactement, débarrassé de tout ajout humain. Car c’est par l’Écriture qu’on peut aller seul vers Dieu, par la vraie foi.
  2. Les pasteurs sont rémunérés par la grande dîme (impôt de 10 %). Un supplément éventuel peut être perçu pour les pauvres du village et pour le règlement de l’impôt de guerre. La petite dîme est à supprimer parce qu’inventée par les hommes puisque le Seigneur Dieu a créé le bétail pour l’homme, sans le faire payer.
  3. La longue coutume du servage est un scandale puisque le Christ nous a tous rachetés et délivrés sans exception, du berger aux gens bien placés, en versant son précieux sang. Par l’Écriture, nous sommes libres et nous voulons être libres.
  4. C’est contre la fraternité et contre la parole de Dieu que l’homme pauvre n’a pas le pouvoir de prendre du gibier, des oiseaux et des poissons. Car, quand le Seigneur Dieu a créé les hommes, il leur a donné le pouvoir sur tous les animaux, l’oiseau dans l’air comme le poisson dans l’eau.
  5. Les seigneurs se sont appropriés les bois. Si l’homme pauvre a besoin de quelque chose, il doit le payer au double de sa valeur. Donc tous les bois qui n’ont pas été achetés reviennent à la communauté pour que chacun puisse pourvoir à ses besoins en bois de construction et en bois de chauffage.
  6. Les corvées, toujours augmentées et renforcées, sont à réduire de manière importante comme nos parents les ont remplies uniquement selon la parole de Dieu.
  7. Les seigneurs ne doivent pas relever les corvées sans nouvelle convention.
  8. Beaucoup de domaines agricoles ne peuvent pas supporter les fermages. Des personnes respectables doivent visiter ces fermes, les estimer et établir de nouveaux droits de fermage, de sorte que le paysan ne travaille pas pour rien car tout travailleur a droit à un salaire.
  9. Les punitions par amende sont à établir selon de nouvelles règles. En attendant, il faut en finir avec l’arbitraire et revenir aux anciennes règles écrites.
  10. Beaucoup se sont appropriés des champs et des prés appartenant à la communauté : il faut les remettre à la disposition de la communauté.
  11. L’impôt sur l’héritage est à éliminer intégralement. Plus jamais veuves et orphelins ne doivent se faire dépouiller ignoblement.
  12. Si quelque article n’est pas conforme à la parole de Dieu ou se révèle injuste, il faut le supprimer. Il ne faut pas en établir davantage qui risque d’être contre Dieu ou de causer du tort à son prochain.

 

Déroulement

 

 

 

La bataille contre les Rustauds (Gravure de Gabriel Salmon illustrant le livre de Nicolas Volcyre de Sérouville, 1526).
 

Fin mars 1525, l’armée de Waldburg-Zeil s’assemble à Ulm. Un peu en aval, sur le Danube près de Leipheim, autour du prêcheur Jakob Wehe, quelque 5 000 paysans pillant les environs du cloître et les propriétés nobles. L’armée de la Ligue de Souabe marche donc sur Leipheim où elle l’emporte le 4 avril sur la bande de Leipheim après avoir, en chemin, massacré quelques bandes de paysans pillards. La ville de Leipheim doit verser une amende. Wehe et les autres chefs de la bande sont exécutés.

 

 

 

Début avril également, les paysans se réunissent dans la vallée du Neckar (Neckartal) et l’Odenwald sous la direction de Jäcklein Rohrbach. La révolte touche l’Alsace à la mi-avril 1525. Rapidement, les insurgés contrôlent une grande partie du territoire alsacien. À Pâques 1525, le 16 avril, la bande de la Vallée du Neckar s’installe près de Weinsberg où le colérique Rohrbach laisse courir le comte Ludwig de Helfenstein, gendre de l’empereur Maximilien Ier et détesté des paysans, et ses chevaliers d’antichambre. La mort très douloureuse des nobles, à coups de piques et de gourdins, entre dans l’histoire de la guerre des paysans comme l’assassinat de Weinsberg. Elle marque de manière décisive l’image des paysans, tueurs et pilleurs, qui pousse de nombreux nobles à s’opposer à la cause paysanne. La ville de Weinsberg est condamnée à être incendiée, et Jäcklein Rohrbach brûlé vif. Après l’affaire de Weinsberg, ceux du Neckartal et de l’Odenwald s’unissent avec la bande de Taubertal (Bande Noire, commandée par le noble franconien Florian Geyer), pour former la puissante Bande de la Claire Lumière forte de près de 12 000 hommes. Elle se retourne, sous la direction du capitaine Götz von Berlichingen, contre les évêques de Mayence et de Würzburg et l'Électeur palatin.

 

 

 

Le 12 avril, les troupes de la Ligue de Souabe arrêtent la bande et la battent : les paysans sont désarmés et soumis à une lourde amende.

 

Le 13 avril, Truchsess avec son armée, doit se replier devant la Bande du Lac, très bien formée et entraînée militairement, et rencontre, le lendemain près de Wurzach, la Bande de l’Allgau. Il parlemente avec eux et parvient à les convaincre d’abandonner leurs armes. Par le traité de Weingarten, le 20 avril, il accorde aux deux bandes quelques concessions, leur garantit le droit de se retirer librement et un tribunal arbitral indépendant pour régler leurs conflits.

 

Le 16 avril, les paysans du Wurtemberg se rassemblent. La troupe de 8 000 hommes entre dans Stuttgart et continue en mai sur Böblingen.

 

La révolte s’étant propagée en Alsace, elle atteint ensuite la frontière est de la Lorraine.

 

 
 
 

Champion du catholicisme, fermé à toute remise en cause de l'ordre féodal, le duc Antoine de Lorraine met en place une expédition militaire dès la fin avril pour mater l’insurrection dans ses États. Les troupes lorraines sont ralliées par les forces de plusieurs autres princes des régions limitrophes qui lui en confient le commandement général : Champagne, Nassau-Sarrebruck, Suisse... Les 16 et 17 mai, les troupes menées par Antoine tuent environ 20 000 insurgés à Lupstein, Saverne et Neuwiller. Le 20 mai, la bataille de Scherwiller fait plus de 4 000 morts parmi les paysans. Le 24 mai, Antoine abandonne le combat après ces victoires décisives, et les troupes lorraines sont de retour à Nancy qui leur réserve un accueil triomphal.

 

La répression se poursuit dans le sud de l’Alsace. Les anabaptistes sont écrasés en Allemagne du sud à Ulm par 5 000 mercenaires dirigés par Truchsess von Waldburg. Karlstadt se réfugie à Zurich auprès de Zwingli.

 

 

La bataille de Frankenhausen, le 15 mai 1525, est la plus significative des batailles de la guerre des paysans. Les paysans insurgés de Thuringe, sous la direction de Thomas Müntzer, y sont complètement défaits par l'armée du landgrave de Hesse. Müntzer lui-même est fait prisonnier et amené le 27 mai à Mühlhausen, sur les fortifications de Heldrungen. Il y est torturé et décapité.

 

À Hall et à Gmünd également, des petites bandes se forment. 3 000 partisans pillent les monastères de Lorch et de Murrhardt, et laissent le château de Hohenstaufen à Schutt en cendres. On pille aussi les monastères à Kraichgau et Ortenau et on incendie les châteaux.

 

 

 

Après le succès de Weingarten, l’armée Waldburg-Zeils passe dans la vallée du Neckar. Les paysans sont battus à Balingen, Rottenburg, Herrenberg et le 12 mai à Böblingen. Il en est de même le 2 juin à Königshofen pour la Bande du Neckartal et la Bande de l’Odenwald.

 

 

Le 23 mai, une troupe de 18 000 paysans du Brisgau et de la Forêt-Noire s’emparent de la ville de Fribourg-en-Brisgau. Fort de ce succès, le meneur, Hans Müller, veut courir en renfort à ceux qui assiègent Radolfzell, mais trop peu de paysans le suivent, la plupart préférant retourner s’occuper de leurs champs. La troupe est alors suffisamment réduite pour être battue peu après par l'archiduc Ferdinand d’Autriche. Waldburg-Zeil rencontre, le 4 juin près de Würzburg, la Bande de la Claire Lumière de paysans franconiens. Abandonnés la veille par Götz von Berlichingen sous un prétexte quelconque, les paysans privés de leur chef n’ont aucune chance. En deux heures, 8 000 paysans sont tués.

 

 

 

Après cette victoire, les troupes de Bauernjörg se redirigent vers le sud et l’emportent en Allgäu, fin juillet, sur les derniers insurgés. En quatre mois, l’armée de George Truchsess de Waldburg-Zeil a parcouru plus de mille kilomètres.

 

 

De nombreuses autres petites révoltes sont tout autant défaites jusqu’en septembre 1525 où combats et répressions sont tous achevés. L’empereur Charles Quint et le pape Clément VII remercient la Ligue de Souabe pour son intervention.

 

 

À la fin de l’année 1525, la révolte est matée en Allemagne, puis en 1526 en Autriche.

 

 

Conséquences

 

 

 

Supplice d'un meneur de la Guerre des Paysans (Jäcklein Rohrbach).
 

Les conséquences sont rudes pour les insurgés. Selon les estimations, pour la seule répression, 100 000 paysans trouvent la mort. Les insurgés survivants tombent en proscription impériale et perdent donc tous leurs droits civiques et privés ainsi que les droits liés à leur fief : ce sont désormais des hors-la-loi. Les meneurs sont condamnés à mort. Les participants et ceux qui les ont soutenus ont à craindre les peines des souverains qui se montraient déjà très cruels. Beaucoup de jugements parlent de décapitations, d’yeux arrachés, de doigts coupés et d’autres mauvais traitements. Celui qui s’en sort avec une amende peut s’estimer heureux, même si les paysans ne peuvent payer les amendes à cause des impôts élevés. Des communes entières sont privées de leurs droits pour avoir soutenu les paysans. Les juridictions sont partiellement perdues, les fêtes sont interdites, les fortifications urbaines rasées. Toutes les armes doivent être livrées. Le soir, la fréquentation des auberges villageoises n’est plus autorisée.

 

 

 

Pourtant, la guerre des paysans, dans un certain nombre de régions, a des répercussions positives, aussi minces soient-elles. Dans certains domaines, les dysfonctionnements sont supprimés, par traité, dans les cas où l’insurrection s’est faite sur la base de conditions plus difficiles (comme à Kempten). La situation des paysans s’améliore nettement dans beaucoup d’endroits puisque les impôts ne sont plus à verser uniquement aux propriétaires terriens mais aussi directement au souverain.

 

 

La défaite des paysans marque le début de l’accroissement patrimonial des chefs militaires nobles victorieux. Georg Truchsess von Waldburg-Ziel obtient des terres en Haute-Souabe. Le capitaine de campagne Sebastian Schertlin von Burtenbach se dédommage sur les vaincus pour payer la solde de ses charretiers.

 

 

 

Les associations de paysans indépendantes, comme celle du Tyrolien Michael Gaismair, sont condamnées au secret pour plusieurs années. De nombreux paysans proscrits survivent pendant des décennies en tant que bandes de brigands dans les forêts. De cette époque date une série d’histoires sur l’origine de ces bandes. Mais il n’y a plus de soulèvement important. Pendant trois-cents ans, les paysans ne se révolteront presque plus. C’est seulement avec la révolution de mars 1848-1849 que peuvent s’imposer les objectifs formulés en 1525 dans les 12 articles.

Les conséquences socio-économiques de la perte de 100 000 paysans, ou 130 000 selon d’autres estimations, sont considérables et préparent le marasme de la guerre de 30 ans.

Le Chant du Rosemont, ballade en patois roman qui célébrait le souvenir de cette épopée est parvenu jusqu’à nous par la tradition orale (voir seigneurie du Rosemont).

 

 

Guerre des paysans et religion

 

 

Martin Luther

 

 

Même si les points de vue de la réforme sont une justification essentielle pour les paysans insurgés, Martin Luther prend clairement ses distances vis-à-vis de la guerre des paysans. Dès 1521, il insiste sur la séparation entre le domaine temporel et le domaine spirituel. Avec la réforme, il veut une transformation de l’Église et pas une « christianisation » du monde, contrairement à Savonarole. Pourtant, continuellement considéré par les autorités comme responsable des événements de la guerre des paysans, il établit nettement, après l’assassinat de Weinsberg, ses distances par rapport aux insurgés en décembre 1524 dans sa Lettre aux princes de Saxe sur l'esprit séditieux et en janvier 1525 dans son libelle Contre les prophètes célestes : « à nouveau, les hordes de paysans, en train de tuer et de piller, [...] il faut les pulvériser, les étrangler, les saigner, en secret et en public, dès qu’on le peut, comme on doit le faire avec des chiens fous ».

Après 1525, le protestantisme perd son esprit révolutionnaire et renforce les situations sociales dominantes, avec le dogme Soumettez-vous aux autorités.

 

 

 

Thomas Münzer

 

 

Ancien partisan de Luther, Thomas Münzer est en opposition avec lui et prend position pour la libération violente des paysans et, à Mühlhausen (Thuringe) où il est pasteur, il s’active en tant qu’agitateur et défenseur de l’insurrection. Il tente de mettre en place un ordre social équitable : suppression des privilèges, dissolution des ordres monastiques, abris pour les sans logis, distribution de repas pour les pauvres. Ses efforts pour unir les différentes troupes de paysans de Thuringe n’aboutissent pourtant pas. En mai 1525, il est capturé, torturé et, finalement, exécuté.

 

 

 

Références:

 

 

  1. (cité dans J. Lefebvre, Luther et l'autorité temporelle, 1521-1525, Paris, Aubier, 1973, p. 247, 253, 257)

 

 

Bibliographie

 

 

 

 

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10/09/2016

25 août 1270 : mort de Saint Louis.

 


 

 

 

Saint Louis en route vers l’Egypte

Le roi de France Louis IX était âgé de 56 ans.

 

 

 

C’était au cours de la 8e croisade (sa seconde). Il espérait convertir le sultan de Tunis au christianisme et le dresser contre le sultan d’Égypte. Les Croisés s’emparèrent facilement de Carthage mais l’armée fut victime d’une épidémie. Louis IX mourut le 25 août sous les remparts de Tunis, de dysenterie vraisemblablement (de peste selon certains). Son corps fut étendu sur un lit de cendres en signe d’humilité, et les bras en croix à l’image du Christ.

 

 

Sacre de Saint Louis

Considéré comme un saint de son vivant, Louis IX fit l’objet d’une vénération dès sa mort. Des miracles étaient réputés avoir lieu sur le passage de sa dépouille et un service d’ordre dut être mis en place près de son tombeau pour canaliser la foule de ceux qui venaient implorer son intercession.

 

 

 

Le XIIIe siècle reste dans l’histoire comme le « siècle d’or de Saint Louis ».
La France, centre des arts et de la vie intellectuelle, y atteint son apogée aussi bien économiquement que politiquement, mais aussi quant au degré de perfection de sa civilisation, dont nous sommes à présent loin…

 

 

 

Saint Louis commandait la plus grande armée et dirigeait le plus grand royaume d’Europe. Sa réputation de sainteté et de justice était déjà bien établie de son vivant et on le choisissait régulièrement comme arbitre pour régler les querelles entre grands d’Europe. Le roi était considéré comme le primus inter pares (le premier parmi ses pairs).

 

Saint Louis est généralement considéré comme le modèle du prince chrétien.

 

 

 

Source : Thibaut de Chassey

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06/09/2016

Anniversaire du couronnement d’Otton, premier roi germanique

Otton, otton

Ce 7 août 936 annonce une dynastie qui fera concurrence à l’hégémonie de la France en Europe continentale, christianisera les Balkans, stoppera les Ottomans aux portes de Vienne, affrontera les hordes nomades de l'est.
         

 

Toujours dans la tradition d’amitié franco-allemande qui caractérise si bien cette belle année 2014 (huitième centenaire de la bataille de Bouvines, match France-Allemagne, centenaire de 1914-18…), le 7 août 2014 marque l’anniversaire du couronnement d’Otton Ier le Grand. Le début d’une grande histoire qui commence en l’an 936 dans la cathédrale d’Aix-la-Chapelle.

 

Ce jour-là, 7 août, le festin bat son plein à Aix. Tout le gratin de Francie orientale est présent : archevêque de Mayence, ducs de Souabe, de Bavière, de Franconie… Celui de Saxe est absent, car il y a quelques heures, l’archevêque de Cologne l’a nommé roi de Francie orientale, c’est-à-dire de Germanie.

 

Pour comprendre comment est né ce qui sera plus tard le Saint Empire romain germanique, un retour en arrière s’impose. En 843, l’empire de Charlemagne est partagé entre ses petits fils. À Charles, la Francie occidentale (France). À Louis, la Francie orientale, et à Lothaire, un vaste et éphémère État tampon entre les deux autres.

 

Pendant ce temps, les Vikings perturbent toute l’Europe pendant que les hordes slaves et hongroises multiplient les incursions en Francie orientale. Les Carolingiens (descendants de Charles Martel et de Charlemagne), incapables de s’y opposer, sont peu à peu supplantés par les Robertiens (ou Capétiens) en Francie occidentale. En Francie orientale, la mort du faible Carolingien Louis IV amène les ducs à élire comme roi Conrad Ier. Ce dernier appelle sur son lit de mort son rival Henri l’Oiseleur (car il chassait au faucon quand on vint l’avertir) à lui succéder. Henri initie une politique prudente : vaincre les ennemis si on le peut (les Danois) ou, s’ils sont trop puissants pour le moment, acheter la paix par un tribut et se fortifier en attendant (Slaves et Hongrois). À l’intérieur, il évite de choquer les ducs qui l’ont élu en se déclarant leur égal, sans trop empiéter sur leur autorité. Ainsi, il refuse le sacre pour montrer à ses vassaux qu’il reste un homme comme eux. Enfin, dans l’éventualité d’une mort impromptue, il fait élire son fils Otton, six ans, comme successeur.

 

Le jeune Otton n’est donc vu, à son avènement, que comme le premier parmi ses pairs. Il dissipe vite cette illusion en se faisant sacrer d’emblée, et en se faisant servir au cours du festin par ses grands vassaux si orgueilleux. Il mate les plus turbulents et redistribue leurs terres à ses fidèles.

 

De plus, il poursuit l’œuvre de son père en boutant hors de ses frontières les Hongrois. Cette politique ambitieuse culmine avec une intervention en Italie, où il soulage le pape, menacé par un roitelet local, et obtient en retour le titre d’empereur.

 

Ce 7 août 936 annonce une dynastie qui fera concurrence à l’hégémonie de la France en Europe continentale, christianisera les Balkans, stoppera les Ottomans aux portes de Vienne, affrontera les hordes nomades de l’est.


Ce 7 août 936 marque la naissance de l’Allemagne, pour le plus grand bonheur de l’Europe, mais aussi le plus grand malheur de notre France...

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05/08/2016

Otto prince von Bismarck ou , Otto prince von Bismarck-Schönhausen:

 

 

 

 

Homme d'État allemand (Schönhausen 1815-Friedrichsruh 1898).

 

Introduction

 

Fils d'un ex-officier qui se consacre à son domaine et de Wilhelmine Mencken, le jeune Bismarck fait ses études secondaires dans des établissements berlinois de caractère bourgeois. À dix-sept ans, il entre à l'université de Göttingen. Inscrit dans un vieux corps d'étudiants, il laissera surtout le souvenir de ses frasques, duels et beuveries. Brillant, intelligent, mais peu appliqué, le jeune étudiant passe ses trois derniers semestres à l'université de Berlin. Il termine ses études de droit en 1835 et, dès 1836, il est nommé référendaire à Aix-la-Chapelle. Plus séduit par la vie

élégante de la station thermale que par ses fonctions, Bismarck se fait muter à Potsdam, avant d'accomplir son service militaire aux chasseurs de la Garde. À la mort de sa mère, le 1er janvier 1839, il s'installe à Kniephof, en Poméranie, quittant ainsi une administration qui le jugeait en ces termes : « Si M. de Bismarck réussit à vaincre sa paresse, il sera capable d'assurer les plus hautes fonctions de l'État. »

 

Le hobereau se révèle passionné d'agriculture, surtout des forêts. Maître exigeant, il consacre ses loisirs à la lecture, mais reste imperméable à l'influence du romantisme allemand. Il est attaché à l'État et l'idée de nation n'a aucune emprise sur lui. Pour lui, l'État, c'est la Prusse ; il est conduit par l'idée de l'État prussien et non par celle de la nation allemande. Indifférent en matière religieuse, Otto, ébranlé par la mort d'une amie, Marie von Thadden, et soucieux d'épouser Johanna von Puttkamer, issue d'une famille de piétistes austères, assure avoir retrouvé la foi. Si la sincérité de cette « conversion » laisse des doutes, du moins Bismarck se comporte-t-il en luthérien tolérant, marqué par une religiosité originale. De son union avec Johanna, célébrée le 28 juillet 1847, naîtront Marie, Herbert et Wilhelm.

 

Parlementaire et ambassadeur

 

Mais déjà le junker en vient à la vie politique, et, de 1847 à 1851, un Bismarck parlementaire participe à des heures cruciales de l'histoire allemande. Orateur vigoureux, il se signale au Landtag, avant la révolution, comme un homme d'extrême droite. Les événements révolutionnaires de mars 1848, à Berlin, le rendent furieux : il songe à voler au secours du roi avec ses paysans armés. Consterné par les concessions du souverain, Bismarck met ses talents au service de la contre-révolution et retrouve une place au Landtag en février 1849. Réactionnaire ardent, il est de la « camarilla » hostile à l'unification allemande et qui prêche une réaction totale. « Nous sommes prussiens. Il n'existe pas de concept de l'Allemand », déclare-t-il alors. Réélu par la suite, Bismarck reste un Prussien d'extrême droite, détesté par les libéraux et craint par la « camarilla », qui, pour s'en débarrasser, lui fait confier un poste de diplomate.

 

Bismarck, ambassadeur, va connaître, entre 1851 et 1862, trois postes : Francfort, Saint-Pétersbourg et Paris. Représentant de la Prusse à la diète de Francfort, il s'emploie surtout à combattre l'influence autrichienne dans la Confédération. L'affrontement entre lui et le comte Leo von Thun, représentant de l'Autriche, est resté célèbre. Bismarck voyage. En 1855, il visite l'Exposition universelle de Paris, ce qui lui donne l'occasion de connaître Napoléon III, dont il apprécie les méthodes césariennes, et de rencontrer la reine Victoria et le prince consort Albert de Saxe-Cobourg. Il se casse un tibia en Suède en 1857 ; mal soigné, des phlébites le mettent aux portes de la mort en 1859. C'est le début de cette « maladie de nerfs » dont il souffre, mais aussi dont il use pour faire excuser ses colères. Nommé à Saint-Pétersbourg au début de 1859, il travaille à un rapprochement russo-prussien menaçant pour l'Autriche. Bien accueilli par Alexandre II, mais gêné par un train de vie modeste et s'entendant mal avec le ministre des Affaires étrangères, Aleksandr M. Gortchakov, Bismarck, qui a l'impression d'être oublié dans un poste sans histoire, obtient d'être nommé à Paris en mai 1862. Fort bien accueilli par Napoléon III, il ne trouve guère que le temps de s'offrir une escapade sentimentale, toute platonique, avec Catherine Orlov, épouse de l'ambassadeur russe à Bruxelles. Dès septembre 1862, le roi l'appelle à Berlin pour résoudre de graves difficultés intérieures.

 

Une véritable épreuve de force oppose le roi et les généraux à la majorité libérale du Landtag, qui refuse d'entériner la réforme militaire. Pour briser les libéraux, Guillaume Ier fait de Bismarck, poussé par le ministre de la guerre Albrecht von Roon, le ministre président de Prusse, le 23 septembre 1862. Bismarck s'engage à servir la monarchie en tant que vassal qui voit son seigneur dans le péril.

 

Ministre président de Prusse

 

À cette date, les vieilles tendances unitaires, assoupies dans les dix années qui ont suivi la révolution de 1848, se sont réveillées. Partisans d'une grande Allemagne englobant l'Autriche et tenants d'une petite Allemagne rassemblée autour de la Prusse s'affrontent plus énergiquement depuis 1859. Incapable d'entrer dans le Zollverein ou de le briser, l'Autriche voit échouer ses projets de réforme de la Confédération, en raison de l'opposition irréductible des Prussiens. L'antagonisme austro-prussien est donc déjà nettement affirmé avant l'avènement de Bismarck. Pour chasser l'Autriche d'Allemagne, Bismarck, esprit pragmatique, a toujours « deux fers au feu » : l'entente sur un partage d'influence ou la guerre. Ce junker est partisan de la « petite Allemagne » ; il ne peut accepter l'idée d'une « grande Allemagne », qui entrerait en conflit avec la Russie, dont il a besoin. Dès 1863, il fait échouer le projet autrichien soumis aux princes réunis à Francfort.

 

En janvier 1864, il profite de la question des « duchés danois » pour entraîner l'Autriche, aux côtés de la Prusse, dans une guerre au Danemark. Afin de gagner du temps, Bismarck s'oppose d'abord à l'annexion des duchés par la Prusse, réclamée par Guillaume Ier et Moltke, préférant un compromis boiteux, la convention de Gastein (14 août 1865), qui confie le Schleswig à la Prusse et le Holstein à l'Autriche. En même temps, il prépare l'écrasement militaire de l'Autriche. Une active campagne diplomatique assure à Bismarck la bienveillance russe, la neutralité de la France, l'alliance de l'Italie. En décidant de poser la question des duchés devant la diète, l'Autriche fournit à Bismarck l'occasion de cette guerre fratricide qui oppose l'Autriche, les États du Sud, le Hanovre, la Saxe aux autres États allemands, rangés derrière la Prusse. En quelques jours, l'armée hanovrienne est battue à Langensalza (27-28 juin 1866), et les forces autrichiennes, écrasées à Sadowa le 3 juillet 1866, livrent aux Prussiens la route de Vienne. À défaut de mobiliser contre la Prusse, Napoléon III, par sa médiation diplomatique, sert les vues de Bismarck.

 

Otto von Bismarck

La paix de Prague, signée le 23 août, permet à la Prusse de réaliser de nombreuses annexions au nord du Main, sans aucun plébiscite, alors que l'Autriche, qui ne perd aucun territoire, doit accepter son éviction d'Allemagne. La voie est ouverte à la réalisation partielle de la petite Allemagne par la création de la Confédération de l'Allemagne du Nord, dominée par le royaume de Prusse, qui groupe, à lui seul, les cinq sixièmes de la population. Dotée d'une Constitution de structure fédérale préparée par Bismarck et votée le 16 avril 1867, elle n'est, dans l'esprit de son chancelier, qu'une transition vers l'unité de toute l'Allemagne. Ce succès vaut à Bismarck de nombreux ralliements, d'autant plus qu'il manifeste l'intention de gouverner en respectant les règles constitutionnelles. Reste à attirer les États du Sud dans la Confédération.

 

Dès 1866, Bismarck réussit, en agitant la menace française, à lier les États du Sud, auxquels il n'a pris aucun territoire, à la Confédération du Nord, par une série de traités secrets d'alliance offensive et défensive. Il obtient également, en 1867, que les représentants du Sud siègent aux côtés de ceux de la confédération dans un Parlement douanier, fruit de la réorganisation du Zollverein après la guerre. Mais ces succès bismarckiens ne doivent pas masquer le développement d'une résistance de plus en plus vigoureuse de la plupart des États du Sud, inquiets des menées du chancelier et fidèles à des sentiments particularistes. L'agitation antiprussienne, qui se manifeste notamment dans des grands États comme la Bavière et le Wurtemberg, inquiète Bismarck, d'autant plus que des intrigues inspirées par Vienne et par Paris l'encouragent. Le chancelier peut donc penser qu'une nouvelle crise est indispensable pour provoquer le ralliement du Sud. La politique de Napoléon III apparaissant, depuis 1866, comme un obstacle à l'achèvement de l'unité, Bismarck a pu préparer sciemment le conflit franco-allemand.

 

En fait, la responsabilité de Bismarck dans la guerre de 1870 n'apparaît certaine qu'au dernier moment. Bismarck s'emploie d'abord à déconsidérer Napoléon III en encourageant des demandes de compensations propres à inquiéter tous les Allemands et les États voisins. D'ailleurs, dès 1859, il y a en Allemagne un courant hostile à la France. Les « pourboires » évoqués successivement, Sarre, Palatinat bavarois, Hesse rhénane, Belgique, Luxembourg, ne peuvent que favoriser l'explosion d'un courant francophobe. Attendu depuis le printemps de 1867, le conflit possible est soigneusement préparé par Bismarck sur tous les plans : diplomatique, militaire, parlementaire. Mais, jusqu'en avril 1870, le chancelier temporise. Il écarte les idées de guerre préventive suggérées par l'état-major prussien dès le printemps de 1867 ; il repousse l'idée d'une entrée du duché de Bade dans la Confédération, à la fin de février 1870, pour donner à l'opinion française le temps de se faire à cette idée.

 

Cette modération de Bismarck s'explique par sa conviction que la France finira par se résigner à l'unité allemande, d'autant plus que le second Empire évolue vers un régime parlementaire pacifique. Ce raisonnement, très juste, se trouve bouleversé par le plébiscite du 8 mai 1870, qui, contre toute attente, consolide l'Empire et pousse Napoléon III à pratiquer une politique extérieure plus ferme, voire belliqueuse. En relançant la candidature de Léopold de Hohenzollern au trône d'Espagne, Bismarck entend mettre Napoléon III au pied du mur. La réaction très ferme de Paris fait céder Guillaume Ier : le retrait de la candidature Hohenzollern est annoncé le 12 juillet 1870. Bismarck, déçu, songe à abandonner le pouvoir, mais les maladresses françaises relancent la crise. À Ems, Guillaume Ier refuse de s'associer à la renonciation de Léopold et de s'engager pour l'avenir. Bismarck, qui a évité ainsi une nouvelle reculade prussienne, s'arrange, grâce à la dépêche d'Ems, un communiqué très sec, pour acculer la France à la guerre et lui laisser la responsabilité de la déclarer, le 19 juillet 1870. Conformément aux traités de 1866, les troupes du Sud s'engagent dans la guerre aux côtés de la Confédération. Dès la victoire de Sedan, le problème de la réorganisation de l'Allemagne se pose. Bismarck provoque une initiative des États du Sud, qui offrent la couronne impériale au roi de Prusse, Guillaume Ier. L'acte de fondation de l'Empire est signé le 18 janvier 1871, à Versailles. L'Empire rassemble les vingt-cinq États et une première conquête : l'Alsace et une partie de la Lorraine devenues Reichsland. Bismarck, poussé par l'état-major, impose cette annexion : le glacis doit interdire à la France toute guerre de revanche.

 

Dès lors, le chancelier Bismarck, principal artisan de cette unification de l'Allemagne, domine, à cinquante-six ans, la scène européenne. Brutal, implacable, avide de domination mais aussi impressionnable, rancunier, Bismarck est servi par son imagination, son intuition, son sens pratique et une intelligence utilisée principalement au profit de la politique extérieure. Le chancelier impose ses vues à Guillaume Ier, vieillard de soixante-quatorze ans en 1871, et qui disparaîtra en 1888 à l'âge de quatre-vingt-onze ans. D'une intelligence limitée, très attaché aux traditions, hésitant, influençable, l'empereur cède aux menaces de démission que Bismarck ne manque pas d'utiliser. Le chancelier gouverne avec quelques collaborateurs : Heinrich Abeken (1809-1872), Lothar Bucher (1817-1892), Friedrich von Holstein (1837-1909), n'hésitant pas à éliminer des hommes comme le comte Harry von Arnim (1824-1881), en qui il voit des rivaux possibles.

 

Le chancelier du Reich et les problèmes politiques

 

La fondation de l'Empire allemand n'a pas réglé tous les problèmes politiques : Bismarck doit, après 1871, renforcer l'autorité du gouvernement impérial face à des particularismes restés vivaces, principalement dans le Sud. Il lui appartient aussi, bien qu'il ne soit pas responsable devant le Reichstag dans un régime qui n'est pas parlementaire, de trouver des majorités pour imposer sa politique. Enfin, le chancelier doit compter avec des minorités nationales : Alsaciens-Lorrains à l'ouest, Danois au nord, Polonais à l'est.

 

Chancelier en même temps que président du Conseil de Prusse, Bismarck résout le problème des relations entre le gouvernement impérial et l'État le plus puissant du Reich. À l'origine, le chancelier se fait aider, à l'échelon fédéral, par les ministres prussiens, mais, peu à peu, il met en place des offices impériaux, notamment à l'Intérieur et aux Affaires étrangères. L'autorité du gouvernement impérial souffre surtout de l'insuffisance de recettes fédérales, constituées uniquement par les revenus des douanes et de quelques taxes indirectes. Le chancelier dépend donc des contributions matriculaires que les États acceptent de verser après de longues discussions. La loi douanière de 1879 ne donne pas à Bismarck les revenus espérés, et, dans ces conditions, la caisse fédérale reste insuffisante.

 

Bismarck s'appuie au Reichstag sur des majorités de rechange. Entre 1870 et 1877, il compte surtout sur les nationaux-libéraux et les conservateurs. À partir de 1877, sa politique douanière, sa lutte contre les socialistes imposent, devant l'hostilité des nationaux-libéraux, le concours du Zentrum, qui entend obtenir, en contrepartie, l'abandon du Kulturkampf. De 1881 à 1890, Bismarck dispose du concours des conservateurs, des nationaux-libéraux et, parfois, du centre. Mais ce cartel conservateur perd de nombreux sièges au début de 1890, mettant ainsi le chancelier dans une situation difficile.

 

Convaincu que les Alsaciens-Lorrains annexés n'ont qu'un vernis français, le chancelier espère germaniser rapidement le Reichsland par le jeu de la prospérité économique et par une immigration allemande. L'Alsace-Lorraine est d'abord soumise à un véritable régime de dictature ; le président supérieur apparaît comme un agent direct du chancelier. Les fonctionnaires, tous allemands, mènent une rigoureuse politique de germanisation. Ce n'est qu'à partir de 1874 que le Reichsland obtient le droit d'élire quinze députés au Reichstag. En 1879, la substitution d'un statthalter, dépendant de l'empereur, au président supérieur marque une volonté d'atténuer les rigueurs du régime instauré en 1871. Cette concession n'entame nullement l'animosité des annexés à l'égard de la politique bismarckienne ; dans les années 1880, le courant protestataire se renforce en Alsace-Lorraine, d'autant plus que, au cours de la crise franco-allemande de 1886-1887, les électeurs ont clairement montré où allaient leurs sympathies.

 

La politique de germanisation pratiquée par Bismarck dans les régions « polonaises » de l'empire n'a pas donné de meilleurs résultats. Convaincu de l'hostilité des populations polonaises, il cherche à saper l'influence du clergé et de la noblesse et à favoriser une colonisation du pays par des paysans allemands. Mais cet effort, comme la lutte contre la langue polonaise à l'école, ne donne pas les résultats escomptés. Les tentatives de germanisation des Danois du Schleswig semblent porter des fruits, au moins jusque vers 1898.

 

Bismarck et l'Église

 

Pour quelles raisons Bismarck mène-t-il une lutte difficile contre l'Église catholique et le parti catholique allemand (Zentrum) ? Le Kulturkampf n'est pas inspiré par des mobiles confessionnels. Protestant tolérant, Bismarck se laisse guider par des préoccupations politiques. Il entend briser tout obstacles à la consolidation de l'unité. Soupçonnant le clergé d'être hostile à l'Empire et d'encourager la résistance des nationalistes polonais, Bismarck veut soumettre l'Église à la raison d'État. Le chancelier se méfie de ce clergé plus disposé à obéir à Rome qu'à Berlin, à un moment où le concile du Vatican (1870) proclame le dogme de l'infaillibilité pontificale et où le Saint-Siège, auquel il est hostile, lui semble devoir encourager la formation d'un parti catholique international. Le parti catholique allemand, fondé en 1870-1871, se montre favorable à un renforcement de l'autonomie des États de l'Empire, thèse combattue par Bismarck, qui accuse aussi le Zentrum de vouloir former un véritable État dans l'État.

 

Bismarck impose une série de mesures, entre 1871 et 1873, à la fois comme chancelier et comme Premier ministre de Prusse. La loi du 10 décembre 1871 interdit à tous les ecclésiastiques (catholiques et protestants) de l'Empire de donner et de commenter des nouvelles concernant les affaires publiques de l'État. À ce « paragraphe de la chaire » s'ajoute, le 4 juillet 1872, l'exclusion des Jésuites de l'ensemble du territoire allemand. En Prusse, Bismarck s'en prend surtout aux écoles et aux statuts des Églises, qu'il fait placer sous la surveillance de l'État. Les lois prussiennes de mai 1873 imposent des conditions à la nomination aux emplois ecclésiastiques, permettant ainsi l'ingérance de l'administration et réservant- et encore dans certaines limites- aux autorités ecclésiastiques allemandes tout pouvoir disciplinaire. Ces lois, appliquées aux protestants comme aux catholiques, provoquent une vive opposition des catholiques, car elles restreignent les droits du Saint-Siège, diminuent l'autorité des évêques et imposent le contrôle de l'État protestant sur la formation des clercs. Si la Bavière s'oppose à Bismarck, qui songe à imposer ces lois à l'ensemble du Reich, d'autres États, comme les grands-duchés de Bade et de Hesse, imitent la législation prussienne. 

 

L'Église catholique allemande, encouragée par le pape Pie IX, s'oppose à l'application des lois de mai par une résistance passive. Comme les évêques « ignorent » les lois, les tribunaux infligent des amendes et des peines de prison. L'exercice du culte se trouve menacé ; les actes des prêtres nommés illégalement ne sont plus valables aux yeux de la loi. Pour remédier à cette situation, Bismarck fait nommer des administrateurs provisoires aux sièges vacants et donne au mariage civil seule valeur légale. En 1874-1875, il ordonne une répression plus sévère, qui entraîne l'emprisonnement de centaines de prêtres. Le Zentrum, fort de ses 86 sièges obtenus en 1874 et des talents de son chef, Ludwig Windthorst (1812-1891), attaque durement la politique de Bismarck. Contrairement aux espoirs du chancelier, le clergé ne cède pas, et c'est Bismarck qui donne des signes de lassitude. Conscient de l'échec de sa politique, Bismarck songe à mettre fin au Kulturkampf dès 1877. Sensible à l'influence d'une partie de la cour prussienne, obligé de rechercher l'appui du centre pour sa réforme douanière, soucieux d'éviter la formation d'une coalition catholique, Bismarck voudrait déposer les armes sans « aller à Canossa ». L'avènement de Léon XIII (1878), pape conciliant, permet des contacts, malgré la rupture des relations diplomatiques entre le Vatican et Berlin. Les premiers contacts (1878-1879) avec le Saint-Siège et avec les chefs du centre aboutissent à un échec. Bismarck doit lâcher du lest : entre 1880 et 1883, il accepte des modifications partielles à la législation en vigueur, tout en maintenant les principes. Le gouvernement rétablit les crédits affectés à l'Église catholique ; les évêques suspendus reprennent leurs sièges… Bismarck fait de nouvelles concessions en 1886-1887 ; le projet de révision des lois de mai est voté par le centre, en avril 1887, après intervention du Saint-Siège, qui met fin à l'intransigeance de Windthorst et de ses amis. La paix religieuse est rétablie. Si l'Église sort moralement renforcée de la crise, le prestige de Bismarck se trouve compromis par une reculade qui affecte fortement son autorité.

 

Bismarck et les socialistes

 

Impressionné, dès 1875, par les progrès de la social-démocratie, Bismarck, qui a tendance à confondre les socialistes avec les anarchistes, manifeste l'intention, depuis les élections de 1877, de briser le parti. Sa politique présente deux aspects complémentaires : détruire la social-démocratie grâce à une loi d'exception ; introduire quelques réformes sociales au profit des travailleurs, clientèle électorale des socialistes.

 

Exploitant habilement deux attentats anarchistes commis en mai et juin 1878 contre l'empereur Guillaume Ier, Bismarck obtient du nouveau Reichstag, élu en juillet 1878, le vote de la loi du 21 octobre 1878. Cette loi sera reconduite jusqu'en 1890. Elle interdit les groupements, qui servent aux sociaux-démocrates et aux communistes à attaquer l'État ou à ébranler l'ordre social. Elle interdit également les rassemblements, les démonstrations publiques, la presse socialiste ; les membres des groupements socialistes peuvent se voir signifier une interdiction de séjour dans certaines villes et régions. Mais la loi n'empêche pas les députés socialistes de siéger au Reichstag ; elle ne supprime pas le droit de coalition.

 

La loi du 21 octobre 1878 entraîne une désorganisation rapide du parti social-démocrate et des syndicats à direction socialiste. Dans les douze années de son application, 150 périodiques et 1 067 livres sont frappés, et de nombreuses personnes doivent quitter leur domicile. Malgré cette répression très dure, Bismarck n'atteint pas le but recherché, car les socialistes mettent sur pied une organisation illégale qui permet la propagation de leurs idées. De Suisse, de Belgique, de nombreuses publications passent en Allemagne. L'organe des socialistes, le Social-Démocrate, tiré à 12 000 exemplaires, à Zurich, puis à Londres, entre dans le Reich sous divers camouflages. La propagande clandestine porte ses fruits. Très vite, la social-démocratie retrouve et élargit sa clientèle électorale : tombée à 311 961 voix en 1878, elle obtient 549 990 voix en 1884, 763 128 voix en 1887. Devant cet échec, Bismarck réagit de deux manières. Pour désarmer les socialistes, il pratique la « politique du bout de sucre », dans l'intention d'amadouer la classe ouvrière et de la réconcilier avec l'État. C'est ainsi que, reprenant les idées des « socialistes de la chaire », il fait voter par le Reichstag une loi d'assurance contre la maladie (1883), une loi d'assurance contre les accidents (1884) et même une loi d'assurance vieillesse (1889). Ces lois passent malgré l'opposition des tenants du libéralisme économique et des socialistes. Ces derniers estiment les cotisations ouvrières trop lourdes par rapport à la part patronale, mais ils dénoncent surtout la manœuvre politique qui est à l'origine de la législation sociale bismarckienne. Cette législation, si elle a le mérite d'être la première en Europe, n'empêche pas de nouveaux progrès socialistes ; Bismarck s'efforce de les combattre par un renforcement de la répression. Il revient, à partir de 1886, à la « politique du fouet ». L'interdiction des rassemblements publics, la multiplication des poursuites judiciaires ne donnent pas les résultats escomptés. Les sociaux-démocrates obtiennent un véritable triomphe aux élections de février 1890, avec 1 427 300 voix et 35 sièges. L'empereur Guillaume II désapprouve, en 1890, les méthodes bismarckiennes, et l'opposition sur les questions sociales apparaît comme l'une des causes de la démission du chancelier.

 

L'essor économique de l'Allemagne

 

Le développement économique de l'Empire bénéficie des mesures imposées par Bismarck pour renforcer l'unité. Le chancelier, avec l'accord du parti national-libéral, représentant des milieux d'affaires, impose une unité monétaire, le mark (1873), et la création d'une banque d'Empire (1875). Il est moins heureux, en revanche, dans sa politique d'unification ferroviaire. Il arrive à étatiser, petit à petit, les chemins de fer prussiens, mais la résistance des autres États et le manque de moyens financiers ne lui permettent pas de racheter aux compagnies privées l'ensemble des voies ferrées allemandes.

 

L'influence de Bismarck est décisive dans le retour de l'Allemagne au protectionnisme. Les difficultés nées de la crise de 1873, de la concurrence de la métallurgie anglaise, de l'invasion des céréales américaines et russes favorisent l'action de groupes de pression protectionnistes, qui trouvent auprès de Bismarck, grand propriétaire terrien, une oreille attentive. Mais le chancelier songe aussi, par une élévation des droits de douane, à augmenter les ressources financières de l'Empire. La loi douanière qu'il fait voter en juillet 1879 ne permet pas de défendre efficacement les intérêts des agriculteurs ; en 1885 et 1887, il obtient le vote d'une nouvelle augmentation des droits sur les blés étrangers.

 

La politique étrangère de Bismarck

 

Bismarck s'intéresse avant tout aux problèmes de politique extérieure. Grand empirique, le chancelier impose ses vues à l'empereur comme à l'état-major, car, pour lui, l'armée ne peut être qu'un instrument technique. Bismarck estime que l'Allemagne ne doit pas imposer son hégémonie en Europe ; satisfait de la réalisation de l'unité, auréolé du prestige de ses victoires sur l'Autriche et sur la France, il lui faut rassurer les puissances. Diplomate de la lignée de Frédéric II, Bismarck repousse le militarisme conquérant, la passion nationale, le pangermanisme ; il est guidé par la raison d'État.

 

« Saturé », le Reich n'a pas à poursuivre une politique d'annexions nouvelles mais, au contraire, à jouer un rôle de modérateur, de conciliateur entre des ambitions rivales. Bismarck entend offrir ses bons offices dans les conflits qui opposent l'Autriche-Hongrie, la Russie, l'Angleterre. Le bloc des puissances conservatrices, Allemagne, Autriche-Hongrie, Russie, apparaît au chancelier comme le plus sûr rempart contre les progrès de la démocratie et du socialisme. Il faut naturellement empêcher une revanche, à laquelle aspire la France, soucieuse de reprendre l'Alsace-Lorraine ; pour cela, il convient de l'isoler, car il lui est impossible de tenter l'aventure sans allié. Partant de ces lignes directrices, Bismarck construit plusieurs systèmes en essayant de concilier des intérêts contradictoires.

 

Par une politique d'intimidation et de menaces, le chancelier entend d'abord exiger de la France le strict respect des clauses du traité de Francfort (10 mai 1871). Soucieux d'obtenir le paiement des 5 milliards, Bismarck se prête, malgré l'hostilité de l'état-major, à des négociations avec Thiers, qui aboutissent à des conventions assurant à l'Allemagne le paiement rapide de l'indemnité, ce qui permet de mettre fin, dès l'automne 1873, aux inconvénients d'une occupation prolongée d'une partie de la France. Il est possible que Bismarck ait accepté de signer la convention du 15 mars 1873 pour ruiner l'ambassadeur Harry von Arnim, qu'il déteste, et soutenir le pouvoir de Thiers.

 

En même temps, Bismarck entend isoler la France et garantir le statu quo européen par une alliance rassemblant les puissances continentales. Le chancelier, qui a ménagé l'Autriche depuis 1866, réussit sans difficulté un rapprochement avec Vienne, d'autant plus qu'il encourage la poussée autrichienne vers les Balkans. Mais alors, comment attirer la Russie, elle aussi soucieuse de développer ses intérêts dans les Balkans, au sein du système ? Bismarck prêche au tsar la solidarité monarchique face à une France républicaine et agressive. L'entrevue des Trois Empereurs à Berlin, en septembre 1872, est suivie d'une série de conventions, conclues en 1873, qui marquent les débuts de l'Entente. L'isolement diplomatique de la France semble assuré, mais l'évolution des relations franco-allemandes et la crise balkanique (1875-1878) viennent affaiblir le système.

 

Inquiet de l'élimination de Thiers, irrité par les critiques de quelques évêques français qui jugent durement le Kulturkampf, très mécontent de voir renaître l'armée française, Bismarck se saisit du prétexte offert par la loi militaire de 1875 pour accuser les tendances revanchardes des Français et les briser par des menaces. Une campagne de presse, des propos tenus par Joseph Maria von Radowitz (1839-1912), familier du chancelier, qui laisse entendre qu'une guerre préventive est possible, inquiètent sérieusement le gouvernement français. Mais la France obtient l'appui diplomatique de la Grande-Bretagne et le soutien énergique de la Russie, qui ne veut pas d'une hégémonie allemande. La manœuvre de Bismarck fait long feu. En soutenant la France, la Russie montre la fragilité du système bismarckien, fragilité encore accrue par la crise balkanique.

 

À la suite de l'insurrection partie de Bosnie-Herzégovine, en 1875, et des représailles turques, la Russie déclare la guerre à l'Empire ottoman en avril 1877. Les victoires russes inquiètent vivement l'Autriche-Hongrie. Pendant toute la crise, Bismarck s'efforce d'éviter les heurts entre ses alliés continentaux. Il évite d'abord de choisir et se montre satisfait de l'accord austro-russe (janvier 1877) qui promet la neutralité autrichienne en cas de conflit russo-turc, en échange de la Bosnie-Herzégovine. Par le traité de San Stefano (mars 1878), la Russie victorieuse impose la création d'une « grande Bulgarie » qui inquiète sérieusement les puissances, notamment l'Autriche. Devant les réactions des puissances, la Russie accepte de négocier. Au congrès de Berlin (été 1878), le chancelier, qui apparaît comme un arbitre, un « honnête courtier », soutient l'Autriche-Hongrie, tout en faisant pression sur Vienne pour obtenir un arrangement avec la Russie. Bismarck a surtout le souci de sauver le système des Trois Empereurs, mais son attitude provoque le mécontentement de la Russie, déçue dans ses espoirs. Le tsar Alexandre II déclare morte l'entente des Trois Empereurs ; dès lors, Bismarck jette les bases d'une nouvelle construction diplomatique.

 

La crise balkanique ayant montré l'impossibilité de maintenir la Russie et l'Autriche-Hongrie au sein d'un même système d'alliances, Bismarck choisit l'Autriche-Hongrie, tout en s'efforçant de maintenir les liens avec la Russie. Le chancelier doit user de la menace de démission pour imposer ses vues à Guillaume I er, plus favorable à Saint-Pétersbourg qu'à Vienne. Le traité austro-allemand du 7 octobre 1879 est, avant tout, une alliance défensive contre la Russie ; l'Autriche n'est pas obligée d'intervenir en cas d'agression française contre l'Allemagne. Bismarck espère ramener le tsar dans l'orbite allemande en suscitant chez les Russes, par des ouvertures à l'Angleterre, la crainte d'un isolement. Le calcul du chancelier se révèle exact : la Russie accepte de négocier. Imposant un véritable ultimatum à Vienne, Bismarck fait céder l'intransigeance autrichienne ; un nouveau traité des Trois Empereurs est conclu le 18 juin 1881. Ce traité, conclu pour trois ans, prévoit la répartition des zones d'influence russe et autrichienne dans les Balkans, et assure à l'Allemagne la neutralité russe en cas de guerre franco-allemande, même provoquée par Berlin. Renouvelé en 1884 pour trois nouvelles années, le traité est un grand succès diplomatique pour Bismarck, d'autant plus que le nouveau système bismarckien s'élargit grâce à l'adhésion de l'Italie en 1882. L'Italie recherche auprès de Bismarck puissance et considération. Souffrant du dédain des grands États européens, elle fait des avances au chancelier, qui n'a guère de sympathie pour ce « petit roquet ». Mais, en cas de guerre franco-allemande, il peut être bon d'imposer à la France une défense de ses frontières alpestres. Malgré les difficultés austro-italiennes dues aux provinces irrédentes, l'Italie, humiliée par la France en Tunisie, est prête à adhérer à une alliance comprenant l'Autriche. Le traité instituant la Triple-Alliance (la « Triplice ») est signé le 20 mai 1882. Traité défensif, avantageux pour l'Italie, il assure à Bismarck- cependant sceptique- un nouvel allié contre la France. Grâce au nouveau système, l'isolement de la France sur le continent est total ; « la machine est si bien montée qu'elle marche toute seule », estime le chancelier.

 

Bismarck peut même pratiquer une politique conciliante à l'égard de la France. Satisfait de la victoire des républicains, au lendemain de la crise de mai 1877, parce qu'une France républicaine n'a aucune chance de trouver une alliée dans cette Europe monarchique, Bismarck multiplie les gestes de conciliation. Il encourage les visées françaises en Tunisie, au Maroc, en Egypte… afin de détourner la France de la ligne bleue des Vosges. À partir de la fin de 1883, il provoque même des conversations franco-allemandes. Le dialogue Bismarck-Jules Ferry, par personnes interposées, montre que Paris se prêterait à des ententes sur des questions coloniales. Mais l'idée de rapprochement, d'alliance n'a aucune chance de succès en France. L'opinion publique ne peut pas accepter une renonciation définitive à l'Alsace-Lorraine, et Jules Ferry craint surtout- et ses craintes sont fondées- une manœuvre bismarckienne destinée, par le biais d'un rapprochement franco-allemand, à brouiller la France et l'Angleterre.

 

La réaction anticolonialiste qui provoque, en 1885, la chute de J. Ferry semble devoir ramener la France à des préoccupations continentales. L'arrivée du général Boulanger- le général « La Revanche »- au ministère de la Guerre, l'activité de la Ligue des patriotes inquiètent l'Allemagne, malgré les déclarations rassurantes du gouvernement français. Pour calmer ces velléités revanchardes, Bismarck fait voter une nouvelle loi militaire, rappelle des réservistes, soumet les Alsaciens-Lorrains, coupables d'avoir élu des adversaires du projet bismarckien, à des mesures rigoureuses. L'affaire Schnæbelé, commissaire de police français arrêté par des policiers allemands en avril 1887, marque le point culminant de la crise, Bismarck, qui n'a pas cherché cet incident, accepte de faire libérer Schnæbelé. En se débarrassant de Boulanger, les républicains font tomber la tension.

 

Malgré ses efforts, Bismarck ne peut pas empêcher l'aggravation de la tension austro-russe à propos des affaires balkaniques. Bismarck est à l'origine de l'alliance secrète conclue en octobre 1883 entre l'Autriche-Hongrie et la Roumanie ; dans les affaires bulgares, en revanche, il freine l'Autriche-Hongrie, car il considère la Bulgarie comme une zone d'influence russe. Cette attitude modératrice du chancelier n'empêche pas le déclin de l'influence russe dans les Balkans, si bien qu'en 1887 le tsar refuse de renouveler le traité des Trois Empereurs. Dans ces conditions, Bismarck s'efforce de remanier son système en renforcant la Triplice, tout en gardant un lien avec la Russie.

 

Le renouvellement de la Triplice, acquis dès 1887, donne l'occasion à Bismarck d'en faire un instrument offensif. La crise bulgare et la crise franco-allemande obligent Bismarck à promettre la défense des intérêts italiens en Afrique du Nord. À ce prix, l'Italie accepte, sur la suggestion du chancelier, de rechercher un accord avec l'Angleterre sur les questions méditerranéennes. L'accord anglo-italien de février 1887 permet à Bismarck d'associer indirectement la Grande-Bretagne à son système. Reste à maintenir un lien avec une Russie décidée à ne plus se commettre dans une alliance comprenant l'Autriche-Hongrie. Déjà l'entourage du tsar comprend des partisans de l'alliance avec la France, mais le clan germanophile reste prédominant. Le 18 juin 1887, la Russie signe avec l'Allemagne le traité secret de réassurance. Conclu pour trois ans, il assure à Bismarck la neutralité russe en cas d'attaque française contre l'Allemagne ; en échange, le chancelier promet son appui diplomatique dans la question bulgare et dans l'affaire des Détroits. Mais ces promesses sont en contradiction avec les autres engagements de Bismarck. Quelques semaines plus tard, lors du réveil de la question bulgare, Bismarck fait pression sur la Russie, notamment en mettant fin aux facilités financières accordées par la Reichsbank aux Russes (novembre 1887) et en faisant allusion au Reichstag à une guerre sur deux fronts (février 1888). Cette menace du chancelier, par ailleurs hostile à une guerre préventive contre la Russie, fait céder le tsar, qui doit accepter un Saxe-Cobourg à la tête de l'État bulgare. Toujours dans le souci d'éviter un rapprochement franco-russe et après l'échec d'une idée d'alliance défensive anglo-allemande, Bismarck songe, dès octobre 1889, au renouvellement du traité de réassurance. La Russie y était disposée au moment de la chute du chancelier.

 

La fin d'une carrière exceptionnelle

 

 

 

La question des relations germano-russes est l'une de celles qui opposent le vieux chancelier au jeune empereur Guillaume II. Depuis 1888, Guillaume appuie les partisans d'une guerre préventive contre la Russie et soutient plus fermement les ambitions balkaniques de l'Autriche-Hongrie. Mais bien d'autres raisons expliquent la démission de Bismarck. Il y a, bien sûr, un conflit de générations entre ce vieillard d'un orgueil immense, persuadé d'être un homme indispensable, et le jeune empereur de trente ans qui n'entend pas vivre à l'ombre du vieux chancelier. Bismarck, presque complètement retiré dans sa tour d'ivoire de Friedrichsruh, n'a que son immense prestige pour résister aux intrigues de la Cour, orchestrées par des hommes qui lui doivent tout, comme Friedrich von Holstein, ou par l'état-major, dirigé par le général Alfred von Waldersee (1832-1904). Son sens de l'intérêt de l'État s'affaiblit au profit de l'intérêt personnel ; il songe à faire de son fils Herbert (1849-1904) son successeur. Aux difficultés du système bismarckien s'ajoute le poids des échecs intérieurs : Kulturkampf, lutte contre les socialistes. Le « cartel bismarckien », comprenant les nationaux-libéraux et les conservateurs, connaît une véritable déroute aux élections de février 1890 en perdant 129 sièges. Bismarck, qui songe d'abord à une dissolution du nouveau Reichstag, doit, pour s'assurer une majorité, se réconcilier avec le Zentrum, qui en profite pour imposer l'abandon des dernières dispositions du Kulturkampf. Inquiet des nouveaux progrès de la social-démocratie, le chancelier veut durcir la législation antisocialiste, mais le jeune empereur recherche une détente qu'il espère provoquer par de nouvelles réformes, notamment une législation sociale plus large, et une atténuation des lois frappant les socialistes. Les deux points de vue s'affrontent dans un conseil de la Couronne. Si Guillaume II ne veut pas être le « roi des gueux », Bismarck entend ménager les intérêts des industriels. Le vieux chancelier impose encore ses idées ; presque tous les ministres le soutiennent, mais c'est le chant du cygne. Dès février 1890, Guillaume II cherche à se débarrasser de Bismarck ; le mois suivant, il exploite divers incidents, reprochant même au chancelier de lui cacher des documents diplomatiques, pour demander sa démission le 19 mars 1890.

 

Ainsi, après vingt-huit ans de pouvoir, Bismarck quitte les devants de la scène allemande et européenne. Déçu, amer, il s'érige en juge pendant les huit années qui lui restent à vivre. Il ne manque pas de critiquer ses successeurs, qu'il considère comme des amateurs maladroits. Mais force lui est de constater que les rouages de l'État tournent sans lui. Il dicte ses Mémoires à son vieux collaborateur Lothar Bucher, ses Pensées et souvenirs (publiés en 1898), qui, naturellement, manquent d'objectivité. Les articles qu'il écrit ou qu'il inspire pour les Hamburger Nachrichten, journal de faible diffusion, montrent un beau talent de publiciste, extrêmement sévère pour son successeur Leo von Caprivi ou pour Adolf von Marschall, et même pour l'empereur. Les polémiques quotidiennes, les critiques qui paraissent dans quelques feuilles dévouées donnent au vieillard l'impression de revivre. Se faisant passer pour victime des intrigues de Caprivi, recevant de nombreux visiteurs, Bismarck contribue à nourrir une légende bismarckienne qui, déjà, s'épanouit. L'empereur, des princes, quatre cents parlementaires viennent célébrer, à Friedrichsruh, le quatre-vingtième anniversaire du vieil homme d'État, mais Bismarck continue à détester Guillaume II et la « clique » de la Cour. Il a beau jeu de démontrer les erreurs de ceux qui, en ne renouvelant pas le traité de réassurance, ont poussé la Russie dans les bras de la France ; il fait à ce sujet des révélations qui tournent au scandale. Hostile à l'expansion coloniale, Bismarck ne voit pas l'intérêt de la politique navale, bien que l'amiral A. von Tirpitz soit venu à Friedrichsruh lui exposer ses idées. Avec une belle obstination, le vieillard, fidèle aux perspectives continentales, reste sourd à la voix des apôtres de la Weltpolitik. Mais, de plus en plus, Bismarck souffrant s'enferme dans le silence. Il s'éteint le 30 juillet 1898.

 

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