Nous avons interrogé Tugdual Derville, son délégué général, également co-initiateur du Courant pour une écologie humaine.
Quel regard portez-vous sur l’affaire Vincent Lambert ? Sur la décision du Conseil d’Etat et celle de la Cour européenne des droits de l’homme ?
Tugdual Derville : Avant d’être une affaire, c’est le drame d’une famille autour d’un de ses membres. Depuis son accident, Vincent Lambert oscille entre un état pauci-relationnel (avec une communication très limitée) et neurovégétatif (sans communication). C’est terrible à appréhender dans la durée pour ses proches. Nous les savons divisés. Je crains que la responsabilité n’en incombe à la proposition médicale de cesser de le nourrir. Ne prétendons pas trancher le différend familial, mais regardons en face la situation de cet homme : il n’est pas en fin de vie ; il respire seul. Son état est comparable à quelque 1700 autres personnes qui vivent en France. Nous comprenons donc la stupéfaction de ses parents qui ont découvert, un jour de 2013, qu’on avait arrêté de l’alimenter et de l’hydrater, avec l’intention de provoquer sa mort. Ils demandent aujourd’hui que nutrition et hydratation lui soient garanties, et qu’il soit enfin pris en charge dans un service adapté à son état, au lieu d’être privé de kinésithérapie, de sorties etc. C’est cette requête qu’examinera la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Qu’il y ait une impatience à ce qu’une personne cesse de vivre fait partie de notre ambivalence naturelle dans les grandes épreuves. Mais que la société renonce à prendre soin, et décide de provoquer la mort, c’est franchir une ligne jaune, avec des conséquences incalculables. Le Conseil d’Etat a estimé que la poursuite de l’alimentation était de l’acharnement thérapeutique. Nous partageons plutôt l’avis du professeur Xavier Ducrocq, neurologue, et de bien d’autres, qui trouvent que cet avis est abusif et très dangereux, et pas seulement pour Vincent Lambert. Personne ne le « force à vivre » : il vit. C’est parfois tentant de considérer que la vie d’autrui n’a plus de sens, d’autant que nous vivons dans un monde dur pour les faibles. Je m’associe à l’alerte des associations de traumatisés crâniens : avec cette logique, les personnes très dépendantes se sentent abandonnées…
Que pensez-vous de l’acquittement du Dr Bonnemaison puis de l’appel du Parquet ? Cet appel qui vous a soulagé, n’est-il pas étonnant, compte tenu de la volonté du gouvernement d’en arriver à terme à une légalisation de l’euthanasie ? L’acquittement du Dr Bonnemaison par un jury d’assises nous a inquiétés, et l’appel rassurés. Un chapitre de mon livre La Bataille de l’euthanasie (Salvator) est consacré à un procès comparable : en 2008 une mère, Lydie Debaine, qui avait mis fin aux jours de sa fille handicapée dans un accès d’épuisement, a été acquittée par un jury d’Assises sous les applaudissements. Mais des voix se sont élevées : être handicapé allait-il signifier qu’on pouvait être tué impunément ? La question se pose aujourd’hui pour les personnes âgées qui arrivent aux urgences… L’émotion compassionnelle entretenue autour de la personnalité fragile du Dr Bonnemaison fait oublier le statut des victimes. Le tout, dans un contexte où l’on veut protéger un confrère, l’enfant du pays… Nous espérons qu’en un lieu plus paisible, un second procès faisant moins de place aux militants de l’euthanasie saura trouver la juste peine. En seconde instance, Lydie Debaine avait été condamnée à de la prison avec sursis…
Quant au gouvernement, il est hésitant. D’abord il veut éviter un nouveau mouvement social. Il l’a avoué. Et François Hollande n’a jamais prononcé le mot euthanasie. Ensuite, le pouvoir sait que l’injection létale dénaturerait notre système de santé par la rupture de la confiance soignants-soignés. L’euthanasie « de facilité » s’est répandue en Belgique où l’éligibilité à l’euthanasie légale ne cesse de s’élargir tandis que l’euthanasie clandestine explose, par désinhibition. On entrouvre la porte et on finit par considérer l’euthanasie comme « l’ultime soin palliatif », au détriment des traitements contre la douleur. Nous craignons, à court terme, une dérive insidieuse, avec deux risques. Le premier, c’est le « suicide assisté » : on mettrait des produits létaux à disposition de certains patients.
Mais attention ! Faire entorse à la politique de prévention du suicide fragiliserait toute personne traversant une crise suicidaire. Peut-on désigner des catégories de gens dont la vie ne vaudrait plus la peine d’être vécue ? Ce serait les pousser vers la sortie. Le second risque vient des dérives de la sédation. Ce type d’anesthésie destiné à soulager le patient ne doit pas devenir euthanasique. Nous demandons à Jean Leonetti de ne plus parler de « sédation terminale », mais de sédation « en phase terminale ». Il faut rappeler les deux critères qui définissent l’euthanasie : l’intention (tuer) et le résultat (la mort), quel que soit le moyen utilisé. Alliance VITA sera vigilante pour qu’on ne vienne pas légitimer des formes d’euthanasie en occultant ce mot, comme Bernard Kouchner l’a lui-même proposé.
Vous êtes au cœur de la lutte pour la défense de la vie : le veto de la Commission européenne à l’initiative citoyenne "Un de nous" visant à demander l’arrêt du financement public européen de la recherche sur l’embryon rappelle énormément le refus du Conseil Economique, Social et Environnemental de valider la pétition, pourtant présentée dans les règles, visant à demander au CESE de se saisir du projet de loi sur le mariage pour tous... Ne se trouve-t-on pas confronté, aux plans national et européen, à une volonté délibérée d’écarter les citoyens des débats sur les questions sociétales ? Je crois que la prétendue démocratie participative a montré son visage : c’est un leurre. Devant le succès, en France et en Europe, des pétitions lancées par notre famille de pensée, les technocrates ont pratiquement dit qu’il leur appartenait de trier entre les demandes légitimes et les illégitimes. Cet accès de toute-puissance a le mérite de la clarté. Pour ma part, je pense que les superstructures étatiques sont le reflet de la culture dominante. Et c’est sur cette dernière que nous pouvons agir, autour de nous, dans le cœur de nos activités, pour que l’Homme soit protégé. C’est cela, faire de la politique, au sens noble. Et c’est ce que propose le Courant pour une écologie humaine. A nous de construire une culture de l’altruisme propre à enrayer la spirale libérale-libertaire qui blesse l’humanité.
L’avortement, thérapeutique ou non, semble malheureusement être entré dans les mœurs ; quant à l’euthanasie, les sondages semblent conforter les "pro-mort"... D’un autre côté, la mobilisation contre le mariage pour tous a été impressionnante, notamment du côté de la jeunesse : quelles raisons avons-nous d’espérer ? Chacun peut puiser dans le sanctuaire inviolable de sa conscience la paix du cœur, capable d’entretenir la flamme de son espérance, au-delà de toute apparence. Pour moi, chaque rencontre me permet de vérifier l’extraordinaire soif de bon, de vrai et de beau qu’il y a dans toute personne. Inutile de maudire l’obscurité : il faut s’engager et témoigner. Regardons la façon dont telle ou telle minorité a été capable de faire basculer l’histoire ! Il n’y a pas de fatalité. Le grand réveil des consciences qui a embrasé la France en 2013, spécialement les jeunes, me fait penser à la sortie d’Egypte. Il reste une longue marche à accomplir, avec tant de péripéties. Bref, beaucoup de travail. Mais quelle extraordinaire perspective que la plénitude de vie promise !
Propos recueillis par François Marcilhac - L’AF 2891